À propos de l'œuvreAlice de Charentenay

Méditations poétiques

Écrits depuis 1816, les poèmes qui forment ces Méditations poétiques trouvent leur inspiration dans la jeunesse de Lamartine, et en particulier dans la mort de sa maîtresse, Julie Charles, devenue Elvire dans le recueil. Cette mésaventure explique la mélancolie qui imprègne les poèmes, et qui fit son succès. Celui-ci va néanmoins bien au-delà d’un engouement ponctuel. 

C’est qu’en 1820, la poésie ne laissait guère espérer de grandes œuvres. Délaissée par un XVIIIe siècle épris de rationalisme et d’argumentation, elle souffre d’avoir été illustrée par des auteurs aristocrates discrédités par la Révolution – à l’exception notable de Chénier. Les Révolutionnaires et l’Empire l’ont par la suite usée en la tenant sous surveillance et la soumettant à une fonction subalterne et décorative. La poésie semble engoncée dans le formalisme néo-classique et l’abstraction conventionnelle qui reprend sempiternellement les mêmes images avec plus de technique que de ferveur.

Les Méditations poétiques sonnent comme une rupture décisive dans ce paysage de désolation. Lamartine y remplace le formalisme ronflant par la sincérité et la spontanéité ; il ne recherche plus la vérité éternelle des sciences ou du Vrai mais exprime ses propres sentiments, ceux d’un jeune homme de son temps, amoureux et ambitieux. Le terme même de « méditation » rappelle une dimension de l’homme oubliée par les rationalistes, et que les Romantiques brandissent comme un étendard : les mouvements de l’âme. « Ce sont les épanchements tendres et mélancoliques des sentiments et des pensées d’une âme qui s’abandonne à ses vagues inspirations », dit l’avertissement de l’éditeur. Les dorures architecturales et les ornements laissent place au seul grand monument dans lequel la conscience romantique ne se lasse pas de se perdre : la nature. L’immensité qui se donne à voir « dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages » offre à la fois un miroir à l’âme, un interlocuteur au poète, et une image de l’absolu auquel n’osait plus croire la jeunesse.
 

 
« Le Lac »
« Le Lac »
Romance « L’Automne »
« Le Vallon »

L’innovation porte moins sur la forme poétique : Lamartine reprend les quatrains, l’alexandrin et les vers pairs de ses aînés, leurs périphrases hellénisantes aussi. C’est l’énonciation en revanche qui inaugure un lyrisme nouveau : le poète dit « je », il se parle à lui-même de ses propres sentiments. Or cette attention portée à son propre cœur parvient à refléter d’un même mouvement les élans de toute sa génération, comme lui mélancolique et éprise d’absolu. La singularité de l’individu s’en trouve légitimée en poésie comme elle l’était dans le roman.

L’expression sincère des sentiments renoue tout naturellement avec l’origine érotique de la poésie et apporte avec elle le modèle du portrait amoureux (« Souvenir »), de l’élégie (« Le Vallon », « Le Lac »), et de la déploration (« L’Isolement », « Le Désespoir »). L’amour s’offre comme un idéal inaccessible, dont le rapport déiste à la nature est à la fois la consolation et l’image. C’est que Dieu apparaît par éclipses dans le recueil : sans être tout à fait chrétien, il est du moins unique et souverain, ce qui flatte le premier public, légitimiste et Catholique, de Lamartine.

 
Le Soir
Galop chromatique
Jocelyn
 

Le premier effet de cette publication fut donc d’introniser Lamartine dans ce monde. S’il devint diplomate, académicien, ministre, il resta toujours l’auteur des Méditations : c’est surtout dans le champ littéraire que le recueil porta ses plus beaux fruits. Qu’elles fussent adorées par Musset ou Hugo, contestées par Baudelaire, ou détestées par Verlaine, mises en musique ou illustrées, Les Méditations poétiques incarnent la poésie romantique aux yeux de leur siècle et au-delà.