À propos de l'œuvre Sarah Tournerie

Lorenzaccio

Lorenzaccio, aujourd’hui un classique, a longtemps été considérée comme une pièce « maudite » : supposée injouable selon Alexandre Dumas fils car très longue et nécessitant trop de décors, elle a été ignorée jusqu’à la fin du XIXe siècle.
C’est pourtant un modèle du drame romantique, notamment par son personnage principal, à la personnalité double : dépravé en apparence, vertueux en réalité. Double et même multiple, comme ses différents noms en témoignent : appelé tour à tour Lorenzaccio, Lorenzino, Renzino, Lorenzo de Medicis, Lorenzetta, selon que c'est le peuple, sa mère ou Alexandre qui le nomme, divers aspects de sa personnalité sont soulignés. La contradiction permanente qui habite Lorenzaccio se traduit jusque dans son physique ; alors qu’il est tourné vers le beau, il donne l’apparence du mal : blafard, frêle, inquiétant, aux « joues couleur de soufre » (I, 6), son physique romantique traduit son mal-être intérieur qui le ronge comme une maladie. L’ancien Lorenzo réapparaît parfois mais sous forme de rêve, de fantôme ou de spectre. Ce personnage marginal, solitaire, à la limite de la folie rappelle le Hamlet de Shakespeare ou le Fiesque de Friedrich Schiller dans « La Conjuration de Fiesque », ces deux auteurs étant les grands modèles européens de l’époque. Musset a d’ailleurs préludé en déclarant dans une lettre de jeunesse : « Je ne voudrais pas écrire ou je voudrais être Schiller ou Shakespeare. » 
Touché par le mal du siècle que Musset lui insuffle, Lorenzo ne se résout pourtant pas à rester passif ou à se détourner de la tyrannie et entame une résistance lente et secrète : « Qu’importe que la conscience soit vivante si le bras est mort ? » (III, 3). Mais le drame de Lorenzo réside dans le fait qu’il sait son action vaine. Entre le moment où il s’est engagé dans cette voie et le présent, il a côtoyé les hommes, les connait et s’est rendu compte qu’ils étaient lâches et velléitaires : ils ne se rebelleront pas après le meurtre d’Alexandre. Lorenzo sait son abnégation vaine.

Florence

Drame romantique aussi car l’action est située en Italie (pays qui fascine tous les écrivains de cette génération) et dans le passé. Il y a cependant de nombreux parallèles entre la Florence de 1537 et la France de 1834. Après les Trois Glorieuses de 1830, la jeunesse espère beaucoup de la nouvelle monarchie de Juillet de Louis-Philippe. Mais après quatre ans de règne, il s’avère décevant. La nostalgie qu’expriment dans la pièce les Florentins à l’égard de leur république perdue est à rapprocher de celle des Français qui regrettent la Révolution de 1789 et ses promesses. Ils voient certaines de leurs libertés amoindries, tout comme les Républicains florentins qui conservent une certaine fierté pour leur ancienne république, et parlent de « leurs droits », déplorant la débauche régnante instaurée par le Duc Alexandre. C’est pourquoi Florence, omniprésente dans la pièce, est présentée comme une beauté souillée, un idéal saccagé. Ville des arts, de la prospérité et de l’éclat, elle devient une « forêt pleine de bandits », une « mère stérile », une « bâtarde » (I, 6), une « catin » (II, 3).

Sarah Bernhardt dans Lorenzaccio

Enfin, comme ses contemporains, Musset mêle allègrement les genres et les registres. Il alterne le tragique, le grotesque et le lyrique, il juxtapose les moments d’intimité et les scènes de peuple, les souvenirs heureux et purs (Jeannette étendant le linge) côtoient l’atroce (l’évocation du meurtre d’Alexandre avec force détails sanglants à l’acte IV, sc. 9). Tout cela traduit un monde désordonné et absurde où la vie des hommes est soumise au hasard.
Alfred de Musset ne verra jamais la pièce jouée de son vivant et il faudra attendre 1896 pour que Sarah Bernhardt la monte et interprète le tyrannicide. Mais ce n’est qu’en 1952 au festival d’Avignon, dans une mise en scène de Jean Vilar que Lorenzo est enfin fidèlement incarné par un homme dans le rôle-titre : Gérard Philipe, dont la prestation fera date et restera dans la légende du festival.