De la jalousie
Pendant six mois entiers, Brigitte, calomniée, exposée aux insultes du monde, eut à essuyer de ma part tous les dédains et toutes les injures qu’un libertin colère et cruel peut prodiguer à la fille qu’il paye. Au sortir de ces scènes affreuses où mon esprit s’épuisait en tortures et déchirait mon propre cœur, tour à tour accusant et raillant, mais toujours avide de souffrir et de revenir au passé ; au sortir de là, un amour étrange, une exaltation poussée jusqu’à l’excès, me faisaient traiter ma maîtresse comme une idole, comme une divinité. Un quart d’heure après l’avoir insultée, j’étais à genoux ; dès que je n’accusais plus, je demandais pardon ; dès que je ne raillais plus, je pleurais. Alors un délire inouï, une fièvre de bonheur s’emparaient de moi ; je me montrais navré de joie, je perdais presque la raison par la violence de mes transports ; je ne savais que dire, que faire, qu’imaginer, pour réparer le mal que j’avais fait. Je prenais Brigitte dans mes bras, et je lui faisais répéter cent fois, mille fois, qu’elle m’aimait et qu’elle me pardonnait. Je parlais d’expier mes torts et de me brûler la cervelle si je recommençais à la maltraiter. Ces élans du cœur duraient des nuits entières, pendant lesquelles je ne cessais de parler, de pleurer, de me rouler aux pieds de Brigitte, de m’enivrer d’un amour sans bornes, énervant, insensé. Puis le matin venait, le jour paraissait ; je tombais sans force, je m’endormais, et je me réveillais le sourire aux lèvres, me moquant de tout et ne croyant à rien.
Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836
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