Portes cochères

Livre IV, chapitre 316

L'inconfort des rues de Paris. Homme chutant dans la boue.

Les gens qualifiés font jeter pendant leurs maladies, du fumier devant leurs portes cochères et aux environs, pour que le bruit des carrosses les incommode moins. Ce privilège abusif change la rue en un cloaque affreux, pour peu qu'il ait plu, et fait marcher cent mille hommes en douze heures, dans un fumier liquide, noir et puant, où l'on enfonce jusqu'à mi - jambe. Cette manière d'empailler toute une rue, rend les voitures plus dangereuses, en ce qu'on ne les entend pas. Pour épargner quelque cahot bruyant à une tête malade ou vaporeuse, on expose la vie de trente mille fantassins, dont la cavalerie se moque, il est vrai, mais qui ne doivent pas expirer sous les roues silencieuses d'un carrosse, parce que M. le marquis a eu un accès de fièvre ou une indigestion.[…]
Souvent les portes cochères vomissent des voitures qui sortent à l'improviste, et qui coupent la rue rapidement et transversalement ; de sorte qu'il est impossible de se garantir de ce brusque danger : on se jette dans le péril, ne sachant si elles tourneront à droite ou à gauche. Ne pourrait-on pas obliger les portiers à prévenir les passants, et à siffler d'une certaine manière : ce qui serait un signal conservateur. Il y a moins de danger quand les voitures rentrent, parce que le laquais fait sonner le marteau à coups précipités ; et l'on est averti.
[…]
Ce qu'elles ont vraiment d'incommode, c'est que tous les passants y lâchent leurs eaux, et qu’en rentrant chez soi l'on trouve au bas de son escalier un pisseur qui vous regarde et ne se dérange pas. Ailleurs, en le chasserait ; ici, le public est maître des allées, pour les besoins de nécessité. Cette coutume est fort sale , et fort embarrassante pour les femmes.

 

Mercier, Tableau de Paris, 1781.
> Texte intégral : 1781-1788