À propos de l’auteurJean-Marc Hovasse
Du royalisme au libéralisme (1802-1830)
« Ce siècle avait deux ans… » lorsque Victor Hugo voit le jour à Besançon, le 26 février 1802. Son père Léopold Hugo, futur général, y avait été nommé en garnison ; pour sa mère Sophie Trébuchet, c’était la troisième naissance en cinq ans, après Abel (1798) et Eugène (1800). Marquée à la fois par l’épopée napoléonienne et par la mésentente grandissante puis le divorce violent entre ses parents, l’enfance de Victor Hugo n’est rien moins qu’heureuse. Ses épisodes lumineux, à commencer par les séjours parisiens dans le grand jardin des Feuillantines aujourd’hui disparu, n’en ressortissent que mieux.
Après des tentatives de conciliation en Italie (1808) puis en Espagne (1811-1812) sur les traces du père, Sophie Hugo élève seule ses enfants à Paris dans le culte de l’Ancien Régime et la haine de l’Empire. Victor Hugo entre donc dans la carrière des lettres par des poèmes de concours à la gloire des Bourbons et de la Restauration. Sa carrière officielle commence dès 1817 par une mention à l’Académie française, suivie par la reconnaissance de Chateaubriand, son idole. Dès son premier livre, Odes et poésies diverses, en 1822, il refuse de distinguer « l’intention littéraire et l’intention politique ». Devenu presque le poète officiel de la monarchie, il est invité en 1825 au sacre de Charles X à Reims. Mais il commence déjà à se défaire des « préjugés sucés avec le lait », et entame le chemin du royalisme au libéralisme qu’il prêtera à Marius dans Les Misérables. Il devient en même temps un chef de la nouvelle école littéraire, dont il expose la théorie dans la préface de Cromwell (1827), et dont il impose la pratique trois ans plus tard à la Comédie française avec Hernani. À côté du théâtre, il s’est déjà illustré dans tous les genres, la poésie (Odes et ballades, Les Orientales) comme le roman (Bug Jargal, Han d’Islande). Le Dernier Jour d’un condamné, en 1829, marque la première étape de sa longue lutte pour l’abolition de la peine de mort.
Quand survient la révolution de Juillet 1830, il a déjà perdu ses deux parents, mais il est à la tête d’une famille nombreuse : sa femme Adèle, rencontrée dès 1809 et épousée en 1822, attend leur cinquième enfant, Adèle, qui naîtra le 24 août, après un petit Léopold (né et mort en 1823), Léopoldine (1824), Charles (1826) et Victor (1828).
Du Capitole à la roche tarpéienne (1830-1851)
Victor Hugo admire Lamartine presque autant que Chateaubriand, mais il ne s’engage pas tout de suite en politique. Il confirme dans un premier temps sa prééminence dans tous les genres en publiant la même année 1831 un nouveau recueil de poèmes (Les Feuilles d’automne), une pièce qui avait été censurée sous la Restauration (Marion de Lorme) et enfin le roman qui sera son premier best-seller, Notre-Dame de Paris. Il s’installe alors, au sens propre comme au sens figuré, place Royale, aujourd’hui 6, place des Vosges (tout l’hôtel particulier est devenu en 1903 son musée parisien). Mais sa vie privée est moins glorieuse : après avoir découvert avec consternation la liaison de sa femme et de son meilleur ami Sainte-Beuve, il s’éprend de Juliette Drouet, qui tenait un petit rôle dans Lucrèce Borgia, sa première pièce en prose. Il partage désormais sa vie en deux parts, au moins, réservant à Juliette des voyages estivaux et quelques soirées, gardant le reste pour sa famille, sans que cet équilibre instable ne satisfasse vraiment personne. Ses recueils de poèmes se teintent alors d’un voile de mélancolie, qui obscurcit jusqu’à leurs titres : Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures (1837), Les Rayons et les ombres (1840). Ses succès au théâtre, en vers comme en prose (Marie Tudor, Angelo tyran de Padoue, Ruy Blas), ne s’interrompent qu’avec l’échec relatif des Burgraves en 1843. Entre-temps, il a été élu à l’Académie française (1841), ce qui lui a ouvert, quatre ans et un grand livre plus tard (Le Rhin), les portes étroites de la chambre des Pairs (l’équivalent du Sénat d’aujourd’hui).
Il est alors au sommet des honneurs, mais sa vie privée tourne au désastre : Léopoldine, sa fille aînée, se noie accidentellement dans la Seine quelques mois après son mariage (1843), et il est surpris en flagrant délit d’adultère avec Léonie Biard, une jeune femme séduisante mariée à un peintre jaloux. Il s’enferme alors pour se faire oublier, et commence la rédaction d’un grand roman qui deviendra Les Misérables. La révolution de 1848 l’interrompt en février. Il ne le reprendra pas avant une douzaine d’années.
Son rôle à la chambre des Pairs ayant été mineur, c’est en juin 1848, après son élection à l’Assemblée constituante – suivie d’une réélection à la Législative – que commence sa grande carrière politique. Élu conservateur, il soutient tout d’abord la candidature de Louis Napoléon Bonaparte, et s’en éloigne après son élection au fur et à mesure que ce dernier durcit sa politique dans le sens le plus réactionnaire. Il passe définitivement à gauche entre 1849 et 1850, et devient l’un des principaux opposants au régime. Le coup d’État du 2 décembre 1851 le chasse à ce titre hors de France : il perd tout, sauf son génie.
La République incarnée (1851-1885)
À Bruxelles (1851-1852), puis à Jersey (1852-1855), puis à Guernesey (1855-1870), l’exil lui offre une seconde vie. Galvanisé, sinon magnétisé, par une colère politique qui s’exprime tour à tour en prose (Napoléon le Petit), et en vers (Châtiments), il ne s’apaise qu’en apparence dans de nouvelles œuvres immenses qui seront publiées tout de suite (Les Contemplations, La Légende des siècles, William Shakespeare), ou beaucoup plus tard (Dieu, La Fin de Satan, Théâtre en liberté). Refusant l’amnistie générale de 1859, il continue à garder le contact avec la France. Mieux encore : sous la forme idéale et future d’une République fraternelle vouée à l’universalité, il l’incarne aux yeux du monde. Les condamnés à mort comme les peuples opprimés s’adressent à lui pour obtenir son soutien, qu’il accorde généreusement. Le succès planétaire des Misérables, en 1862, en est à la fois la cause et la conséquence. Il avait acheté à Guernesey sa première maison, Hauteville House, et l’avait décorée de fond en comble pendant de longues années, avec un goût digne de sa pratique assidue du dessin par lequel il entre aussi de plain-pied dans la modernité. Après Les Chansons des rues et des bois (1865), les dernières années de l’exil sont marquées par les deuils et les départs : sa fille Adèle perd la tête à la poursuite d’un amour chimérique, ses fils Charles, puis Victor, dit François-Victor, s’installent sur le continent, sa femme meurt en 1868. Les deux grands romans de cette période-là, Les Travailleurs de la mer (1866) et surtout L’homme qui rit (1869), sont parmi les plus sombres de son œuvre. Charles lui donne heureusement deux petits-enfants, Georges et Jeanne, qui seront la lumière de sa vieillesse, et en 1877 les héros de L’Art d’être grand-père.
Il revient en France dès la chute du Second Empire, auréolé d’un prestige immense qui le conduit de nouveau à l’Assemblée, mais pas pour longtemps. La guerre franco-allemande, la Commune, dont il n’approuve pas la violence, et la mort brutale de Charles, empliront L’Année terrible (1872). Il repart ensuite à Guernesey, histoire de retrouver les conditions de l’exil pour composer son dernier grand roman, programmé depuis longtemps, Quatrevingt-Treize (1874). Élu sénateur en janvier 1876, il siège à l’extrême-gauche et lutte inlassablement en faveur de l’amnistie des communards et pour une laïcité bien comprise. À peine achevé le recueil de ses œuvres politiques en trois tomes (Actes et paroles, 1875-1876), il publie les deux volumes d’Histoire d’un crime (1877-1878) pour prévenir un nouveau coup d’État contre la République, fomenté cette fois par Mac-Mahon. Ce danger écarté, le régime se stabilise, et le fait entrer vivant dans l’immortalité. Juliette Drouet meurt en 1883, il la rejoint le 22 mai 1885. Ses funérailles nationales, le 1er juin à Paris, sont un événement qui dépasse les frontières et l’imagination. Il lègue toute son œuvre écrite et dessinée « à la Bibliothèque nationale de Paris qui sera un jour la Bibliothèque des États-Unis d’Europe ».