À propos de l’œuvreÉmilie Pézard
Des portraits humoristiques
L’expression « Jeunes France » est alors à la mode pour désigner les jeunes romantiques passionnés par l’art, enthousiastes et excessifs. Les six nouvelles du recueil retracent de façon humoristique les mœurs de ces romantiques frénétiques. « Sous la table » est, comme le précise son sous-titre, un « dialogue bachique sur plusieurs questions de haute moralité » : deux amis parlent de leurs maîtresses et discutent de la vertu en s’enivrant. « Onuphrius, ou les vexations fantastiques d’un admirateur d’Hoffmann », fait le portrait d’un « romantique forcené » qui vit dans un monde imaginaire construit d’après ses lectures et devient fou. « Daniel Jovard » raconte la « conversion d’un classique » à toutes les excentricités des Jeunes France : « de classique pudibond, qu’il avait été et qu’il était encore la veille, il devint par réaction le plus forcené jeune France, le plus endiablé romantique qui ait jamais travaillé sous le lustre d’Hernani ». « Celle-ci et celle-là, ou la Jeune France passionnée » expose comment un jeune homme s’amourache d’une belle aristocrate finalement très décevante, avant de trouver un amour authentique avec la modeste Mariette, qui représente « la vraie poésie, la poésie sans corset et sans fard ». Le « bol de punch » décrit une nuit d’« orgie échevelée ». Enfin, le personnage éponyme d’« Élias Wildmanstadius » soumet sa vie quotidienne à la passion qu’il a pour le Moyen âge : « Il y a le jeune France artiste, le jeune France passionné, le jeune France viveur, chiqueur, fumeur, avec ou sans barbe, que certains naturalistes placent entre les pachydermes, d’autres dans les palmipèdes, ce qui nous paraît également fondé. Mais de toutes ces espèces de jeunes France, le jeune France Moyen Âge est la plus nombreuse ».
Enthousiasme et ironie
La fantaisie et l’ironie dominent l’écriture de cette satire des mœurs romantiques. Elles n’excluent pourtant pas la sympathie. L’émotion est également présente dans le recueil, par exemple quand Gautier apostrophe le lecteur à propos d’Elias Wildmanstadius : « Je vous prie, lecteur, de ne pas trop rire de lui ; car c’était mon ami, et il fut sincère dans sa folie, bien différent de tant d’autres qui ne le sont que par mode et par manière. » Le mélange de satire et de tendresse exprime cette « participation détachée » (P. Tortonese) qui définit l’attitude de Théophile Gautier, non seulement à l’égard du romantisme, mais de toute la littérature. C’est cette ambivalence de Gautier qui fait des Jeunes France le livre le plus drôle et le plus touchant en même temps pour découvrir le romantisme des années 1830.