Bombardement de Guernica le 26 avril 1937 : Controverse dans la presse française
Le 26 avril 1937 la ville basque espagnole de Guernica, en territoire républicain, est bombardée et anéantie en grande partie par l’aviation allemande, venue soutenir militairement le camp des nationalistes du général Franco. Cet épisode tragique de la guerre civile espagnole devient très vite un objet de propagande pour les deux camps. La presse française de l’époque participe à cette « guerre » de l’information.
Les premières informations dans la presse française
Deux jours après le bombardement, un journal qui fait preuve de neutralité dans le conflit, Le Petit Parisien, informe ses lecteurs dans son édition du 28 avril de « l’anéantissement de Guernica par les avions allemands de l’armée Franco ». Le même jour, Ce Soir, créé quelques mois auparavant par le PCF et soutien de la République espagnole titre : « 800 victimes à Quirnica[sic], ancienne capitale basque ». C’est le seul journal français à posséder un correspondant à Bilbao : le belge Mathieu Corman.
L’Humanité du 28 avril également annonce en une : « Le plus horrible bombardement depuis le début de la guerre d’Espagne : mille bombes incendiaires lancées par les avions de Hitler et Mussolini réduisent en cendres la ville de Guernica ».
La contre-offensive nationaliste
Le camp nationaliste nie toute implication dans la destruction de Guernica. Ainsi dans Le Matin du 30 avril 1937 on peut lire le communiqué du général Franco : « Guernica a été détruite par des feux allumés avec de l’essence. La ville a été incendiée par les hordes rouges, combattant pour le criminel Aguirre, président de la République basque[…] Aguirre a répandu le mensonge infâme attribuant ce crime à notre aviation noble et héroïque. Nous sommes en mesure de prouver que nos appareils n’ont pas survolé mardi Guernica ou une autre partie du front basque et cela en raison du brouillard. »
En France, les nationalistes espagnols trouvent leur plus sûr soutien du côté de L’ Action française. En page 2 de son édition du 29 avril 1937 le journal nationaliste reprend la version exposée plus haut, exprimant au passage son mépris pour « toute la presse rouge, rose, franc-maçonne ou puritaine des deux hémisphères [qui] pousse depuis hier des cris d’horreur au sujet de la destruction de la petite ville basque de Guernica[…] ».
Le journal ne va avoir de cesse de défendre le bien-fondé de cette thèse, dénonçant au passage les prises de position des catholiques modérés, notamment dans un article du 6 mai 1937 intitulé « Contre le mensonge-roi : l’imposture de Guernica ».
L'Action française, 6 mai 1937 et revue Esprit, juin 1937
Un témoignage capital
Entre-temps, un témoignage capital est apporté à la presse française par le père Alberto de Onaindia, prêtre catholique basque, présent durant le bombardement de Guernica. Le récit a d’autant plus de poids que ce témoin appartient à une autorité, l’Eglise, qui soutient les nationalistes dans le conflit. Il décrit de manière détaillée le bombardement, sa durée, la méthode employée par les avions ennemis et l'ampleur des destructions.
De nombreux journaux s’en font l’écho : L’Echo d’Alger du 4 mai 1937, L’Humanité du 5 mai 1937, Le Populaire du 7 mai 1937, La Croix du 8 mai 1937. Dans ce même numéro est publié en page 2 un appel-manifeste « Pour le peuple basque » protestant contre le bombardement de Guernica. Une part importante des catholiques français, jusqu’alors sympathisants des nationalistes espagnols, condamnent désormais leurs actes.
Un des signataires de ce manifeste, Emmanuel Mounier, fondateur et rédacteur de la revue Esprit, s’engage dans la défense de la cause basque. Dans le numéro de juin 1937 de la revue, un dossier de 22 pages de documents et de preuves est publié sur la destruction de Guernica : « Guernica ou la technique du mensonge ».
Plusieurs titres de presse français continuent d’apporter des témoignages sur le bombardement. Ainsi, un article de Jacques Klein dans Le Petit Journal du 8 mai 1937 apporte une nouvelle preuve de la destruction de la ville par les avions allemands. Paul Vaillant-Couturier, dans L’Humanité du 13 mai 1937, interviewe également plusieurs survivants de la ville détruite.
Un enjeu pour la cause basque
Au-delà de la bataille médiatique dont le but est d’établir la vérité sur sa destruction, Guernica devient un enjeu pour servir la cause du peuple basque. Dans sa déclaration du 29 avril 1937, José Antonio Aguirre, président du gouvernement basque, « fait appel aux nations civilisées pour venir en aide aux trois cent mille femmes et enfants réfugiés à Bilbao. » (Bulletin périodique de la presse espagnole, 17 mai 1937, p. 10).
Un reportage photographique de Capa sur Bilbao, Regards, 27 mai 1937
Il s’agit de sensibiliser les opinions publiques étrangères, notamment anglaises, américaines et françaises pour décider ces nations à prendre part au conflit de manière plus active. Cette campagne réussit partiellement.
De nombreux journaux s’intéressent au sort de Bilbao : parmi eux Le Petit Journal du 30 avril 1937 et du 2 mai 1937, Le Populaire du 30 avril 1937, du 2 mai et du 3 mai 1937. Cette campagne aboutit à la participation de la Grande-Bretagne et de la France à l’évacuation de la population civile de la ville encerclée et assiégée.
Guernica n’est toutefois pas oubliée et continue à faire parler d’elle, notamment grâce au célèbre tableau de Picasso qui est visible lors de l’Exposition universelle qui se tient à Paris de mai à novembre 1937.
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