Classiques européens pour la jeunesse : l'art du partage (2)
À l’occasion des Journées européennes du patrimoine, Gallica revient sur la circulation des textes en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, au cours desquels s’est constitué un corpus européen de classiques de la littérature pour la jeunesse. Partons sur les traces de Robinson, Pierre l’ébouriffé, Heidi et Alice…
Entre 1840 et 1860, l’émergence du roman pour la jeunesse va faire vieillir la forme de l’historiette morale aux visées si explicitement éducatives. Le roman propose des scénarios et des personnages plus complexes, qui ne servent plus seulement à mettre en lumière le défaut à combattre ou la vertu à promouvoir.
En France, le roman pour la jeunesse se construit en grande partie sur le modèle de Robinson Crusoé. Le roman de Daniel Defoe (1719), très vite traduit, va engendrer un véritable sous-genre romanesque – les robinsonnades -, à partir de plusieurs œuvres : la reformulation dialoguée qu’en donne l’allemand Joachim Heinrich Campe (1746-1818) en 1779 dans son Robinson der Jüngere, traduit sous le titre Le Nouveau Robinson pour servir à l'amusement et à l'instruction des enfans ; et la variation familiale que le pasteur suisse Johann David Wyss imagine pour ses enfants et que son fils Johann Rudolph publie en 1812 sous le titre Le Robinson suisse, traduit par Elise Voïart ou dans une version revue par P.-J. Stahl, le nom de plume de l’éditeur Hetzel.
Un très vif succès a déjà accueilli comme livre charmant L’Ile au trésor, en Angleterre et dans le feuilleton du Temps. Ce succès n’est pas venu exclusivement des jeunes lecteurs à qui l’ouvrage semblait d’abord destiné. Grandes sœurs et grands frères, maîtres et parents l’ont dévoré avec un égal appétit. Préface de Pierre Jules Hetzel
Sous le Second Empire, l’univers de la fiction s’élargit. Le domaine britannique est le plus influent (Les Nouvelles et seules véritables aventures de Tom Pouce de Stahl étaient déjà « imitées de l'anglais » en 1844). Hetzel publie en 1885 L’Ile au trésor de l’écossais Robert-Louis Stevenson (1850-1894).
Le Petit lord de Frances Hodgson Burnett (1849-1924) paraît en 1888 chez Delagrave (qui traduit également Cuore de De Amicis en 1892). Le livre de la jungle et le Second livre de la jungle de Rudyard Kipling (1865-1936) sortent au Mercure de France en 1899, suivis des Histoires comme ça chez Delagrave en 1903. Chez Hachette paraissent Les aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll (1832-1898) en 1869, et Piter Pan dans les jardins de Kensington en 1907, premier état du roman de James Barrie (1890-1937) illustré par Arthur Rackham.
La langue allemande continue également à être diffusée. Heidi est un roman né de la plume de Johanna Spyri (1827-1901), auquel elle doit sa célébrité internationale. Une première traduction en français, Heidi, une histoire pour les enfants et pour ceux qui les aiment, paraît en Suisse en 1882. Une autre traduction et d’autres volumes (rédigés par le traducteur Charles Tritten) paraîtront chez Flammarion dans les années 1930.
Jusqu’en 1880, les œuvres traduites ou adaptées le sont quasi uniquement de l’anglais et de l’allemand. Ensuite, quoique l’hégémonie anglo-américaine persiste, on trouve des traductions d’autres pays.
Le danois Hans Christian Andersen (1805-1875) a été dramaturge, poète romancier, mais c’est en tant qu’auteur de contes pour enfants qu’il connaît une renommée internationale. Andersen publie une vingtaine de recueils de contes entre 1835 et 1874, soit 172 contes. L’influence du conte populaire est évidente au début, mais Andersen se rapproche par la suite de la nouvelle, en étant conscient de développer un genre. Dès le second recueil, il supprime sur la couverture la mention « racontés aux enfants », mais son œuvre reste associée aux lectures de l’enfance. Parmi les versions françaises illustrées des contes, on peut retenir celle de Bertall dans la traduction de David Soldi chez Hachette, ou celle du danois Hans Tegner chez Juven.
Selma Lagerlöf écrivit un vrai conte, et tous les enfants de toutes les écoles du nord ne se lassent pas de l'en remercier ; par delà la fiction le grand public aperçut un sentiment profond et beaucoup de vérité ; même accueil en Allemagne, en Angleterre, en Amérique ; Nils Holgersson est en train de conquérir le monde,comme naguère les héros fameux d'Andersen. [...] Quel pays n'envierait à la Suède le Merveilleux voyage ? Préface de Lucien Maury
Institutrice et auteure, Selma Lagerlöf (1858-1940) est contactée par l’Association des instituteurs suédois qui lui demande d’écrire un livre sur la Suède à l’intention des enfants des écoles. Ce récit du voyage initiatique d’un enfant transformé en lutin, emporté dans les airs par une oie sauvage, mêle intimement merveilleux et réalisme. Le roman (1906) est traduit en 26 langues. Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède paraît en 1912 chez Perrin à l’intention des adultes, puis la traduction est reprise en 1923 chez Delagrave dans une version illustrée ; il est aussi populaire que Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno. Grâce à cet ouvrage, connu dans le monde entier, Selma Lagerlöf est la première femme à recevoir le Prix Nobel de littérature en 1909.
Un premier ensemble de classiques européens est donc déjà constitué à la veille de la Première guerre mondiale.
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