Les tracts de la Seconde Guerre mondiale à la Réserve des livres rares
Le département de la Réserve des livres rares conserve 9000 tracts de la Seconde Guerre mondiale, désormais accessibles en ligne et en salle de lecture.
Une collection plurielle
Cette collection comporte des documents officiels ou clandestins en toutes langues, réalisés dès le début du conflit par les différentes parties. Ces documents étant le plus souvent produits sans visée de conservation pérenne, on emploie le terme d’ephemera pour les catégoriser. Il peut s’agir de tracts, brochures, papillons, placards, cartes postales, bons de souscription, bons de ravitaillements, ainsi que de quelques timbres et de rares artefacts gaullistes.
Les multiples modalités d’entrées des documents expliquent la richesse de cette collection, qui permet de suivre le conflit dans la durée, sur plusieurs continents et de différents points de vue.
Cet ensemble est conservé dans 38 classeurs classés thématiquement et chronologiquement sous la cote "G" (Géographie et histoire générale » dans la cotation Clément).
On en trouvera ici le plan de classement simplifié :
1. RES G-1474 : tracts publiés en France avec autorisation
2. RES G-1475 : tracts de la Résistance française extérieure
3. RES G-1476 : tracts publiés en France (principalement clandestins, et quelques vichystes et faux allemands)
4. RES G-1477 : tracts lancés d’avion (France / étranger)
5. RES G-1478 : tracts diffusés à l’étranger


À noter :
des tracts lancés d’avion sur la France se trouvent sous les cotes RES-G-729 ;
des numéros épars de périodiques se trouvent dans certains classeurs, mais une collection spécifique de 1200 titres de périodiques clandestins est par ailleurs conservée à la Réserve des livres rares.
La guerre vue de France
La collection de la Réserve des livres rares conserve tant des documents vichystes ou nazis, entrés par dépôt légal ou don, que des tracts clandestins collectés par le personnel de la bibliothèque ou des particuliers, souvent secrètement.

"Il faut bien se rendre compte de la somme d’ingéniosité et de patiente ténacité qu’ont dû déployer les chefs des différents services pour arriver à recueillir, clandestinement, tant de documents précieux et compromettants en dépit de la surveillance constante des autorités d’occupation." (Madeleine Chabrier)
De nombreux documents sont aussi le fruit de saisies initialement rassemblées à la Préfecture de Police puis déposées à la Bibliothèque nationale à partir de 1942, ou collectées en régions par l’intermédiaire des préfectures, avant d’être envoyées à Paris.

Une grande diversité matérielle caractérise ce fonds, tant l’asymétrie était forte entre les moyens de l’État français, et ceux des imprimeurs clandestins. Les autorités pouvaient produire en grand nombre des documents imprimés en couleurs sur papier de qualité ; ceux-ci constituaient d’importants relais de l’idéologie vichyste.


Certains slogans sont devenus le symbole d’une vision du monde promue par le maréchal Pétain.

Les presses de la Résistance devaient, elles, œuvrer dans le plus grand secret et composer avec les difficultés d’approvisionnement en encre et en papier. On retrouve ainsi une grande diversité de procédés d’impression, de formats, et de quantité d’exemplaires produits. Il peut s’agir d’impressions professionnelles,

de ronéotypes,

ou d’autres procédés de reprographie indéterminés :

Il est à noter qu’une quinzaine de manuscrits se trouve également dans la collection.

La majorité des documents collectés en France est l’œuvre de la Résistance. L’ensemble permet de suivre le conflit dans sa durée, et d’appréhender les sujets animant les populations, comme la faim, le coût de la vie.

On retrouve les grandes étapes du conflit, comme l’envoi de travailleurs en Allemagne ou l’évolution des phases militaires.

Différents éléments imprimés ou apposés à la main renseignent quant aux modalités de diffusion des ephemera,

et à l’enjeu immédiat de la circulation de ces documents.

Six classeurs sont consacrés aux ephemera communistes.

La collecte et le classement systématique d’une telle quantité de documents a été possible par le travail des bibliothécaires pendant et après-guerre. Si le traitement de la collection de tracts a été entrepris à partir de 1947, leur collecte a débuté avec la guerre pour se poursuivre jusque dans les années 1960. De nouveaux modes d’accroissement des collections se développèrent après-guerre, parmi lesquels la copie ou l’échange de documents conservés dans d’autres institutions comme la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (aujourd’hui "La Contemporaine"). Ceci explique la présence de reproductions dans cette collection, exception notable au regard du type de documents habituellement conservés à la Réserve des livres rares, justifiée par l’impératif de conserver au mieux la mémoire du conflit.
La Bibliothèque nationale récupéra également après-guerre des publications provenant de la liquidation de services allemands ou collaborationnistes, mais aussi la collection de la Direction de la Documentation française (issue des Services d’Information de la France Libre).
Par-delà les frontières
Le travail réalisé après-guerre par les bibliothécaires a permis une collecte dépassant les frontières hexagonales. La diversification des modalités de collecte a rendu possible l’entrée de nombreux documents produits hors de France, qu’il s’agisse de documents destinés à être diffusés en France ou à l’étranger.

Les bibliothécaires se sont rapprochés d’institutions et de collectionneurs privés en Europe et aux États-Unis, conduisant à la mise en place d’un système de dons, d’échanges, d’achats et de prêts pour reprographie.

Une richesse de cette collection est de proposer des documents en de multiples langues, produits par de nombreux acteurs à destination de différents publics.

Grâce à ces affluents multiples, la collection des tracts comptait environ 4500 documents en 1948, et près du double en 1954.

Une collection exceptionnelle
La collection revêt une gravité particulière tant elle permet de mesurer les espoirs de liberté,

à l’aune d'heures parmi les plus sombres de l’histoire.

Elle témoigne de la férocité de la répression vichyste et nazie, comme de la force des sursauts de l’opinion face au racisme, et notamment à l’antisémitisme :

Si le tragique est sans surprise des plus présents, l’humour n’est pas absent des documents de la Résistance.

"faire hommage à tous ces morceaux de mémoire, […] ces papiers griffonnés à la hâte par ceux et celles-là mêmes qui, malgré tous les périls encourus, les avaient écrits, copiés, imprimés, ronéotypés, transmis, pour alimenter et faire vivre, envers et contre tout, la flamme de l’espoir" (Fabienne Le Bars)
Certains documents collectés sont particulièrement fragiles, ce qui indique l’importance que ces divers témoignages revêtir dès l’époque.


Cette collection est aujourd’hui accessible en salle de lecture de la Réserve des livres rares (salle Y) et en ligne. La constitution d’un tel fonds s’inscrit plus largement dans le travail de la BnF pour conserver les documents éphémères, toutes thématiques confondues. On pourra ainsi consulter d’autres ephemera de la Seconde Guerre mondiale dans le fonds des Recueils du Service histoire du département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, au département des Estampes et de la photographie, ainsi qu'au département des Manuscrits (fonds Germaine Tillon notamment).
Les fonds en lien avec les guerres sont au centre de l’appréhension de périodes cruciales du devenir des sociétés. Ils peuvent se trouver au cœur de l’imaginaire biographique individuel, comme du récit historique collectif. La conservation des "papiers de l’urgence" ou de propagande officielle permet de mettre à disposition ces témoins de leur temps, aussi fragiles qu’irremplaçables.
Pour aller plus loin :
Articles
Tracts et ephemera de la Seconde Guerre mondiale : cartographie de fonds à la BnF et hors BnF (carnet Hypothèses L’histoire à la BnF, à paraître, mars 2025)
Madeleine Chabrier, "La Bibliothèque nationale de 1940 à 1944", in Bulletin d'informations de l'Association des bibliothécaires français, 1990, n° 148.
Fabienne Le Bars, "Tracts clandestins (1939-1945) : une collection pour l’Histoire" dans Tracts et papillons clandestins de résistance : [papiers de l'urgence], Pierrette Turlais (éd.). Paris : Artulis, 2015.
Pour consulter l’ouvrage en ligne : https://resistance.editionsartulis.fr/
Journée d’étude
Yann Kergunteuil, Tracts et périodiques de la guerre à la Réserve des livres rares : constitution d’une collection entre collaborations et résistances, durant la journée d’étude "Enrichir les collections : l’Occupation à l’œuvre à la Bibliothèque nationale (1939-1946)" (BnF, 25 mai 2023, intervention filmée).
Sélection Gallica
Sur le site de la BnF