La piscine de la Butte-aux-Cailles : une pionnière en son temps
Inaugurée en 1924, l’année des Jeux olympiques de Paris, la piscine de la Butte-aux-Cailles n’est pas la plus grande ni la plus chic des piscines de la capitale. Elle n’en est pas moins remarquable par son mode d’alimentation en eau, son architecture et ses nombreuses innovations techniques.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, on prend conscience de l’importance de l’hygiène et de l’exercice physique pour la santé. Les pratiques sportives sont en plein essor mais la France accuse un net retard en matière d’équipements sportifs, comparée à ses voisins comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
Les Jeux olympiques de Paris en 1924 permettent à la capitale de combler une partie de son retard.
Située dans le 13e arrondissement, au sud de Paris, la Butte-aux-Cailles est un quartier populaire et ouvrier. Il bénéficie de deux puits artésiens forés à partir de 1863 et mis en service respectivement en 1872 et 1904, qui fournissent une eau de source à 28 degrés.
Avant le complexe balnéaire Art déco, il existait déjà un établissement de bains. C’est en 1921 que la ville de Paris décide la construction de la piscine pour compléter les bains-douches existants. Le premier coup de pioche est donné le 13 juillet 1921 par M. de Castellane, président du Groupe des sports.
Les sous-sols étant creusés de nombreuses carrières, d’importants travaux de consolidation doivent être menés avant la construction proprement dite. L’emplacement ne facilite pas les choses : la parcelle est étroite et en longueur mais Louis Bonnier et son équipe résussient à y intégrer un vaste complexe balnéaire et sportif avec tous les équipements techniques nécessaires. Son originalité tient dans son alimentation en eau de source naturellement chaude et puisée en grande profondeur.
Elle est inaugurée le 4 mai 1924 après deux ans de construction.
Louis Bonnier : de l’Art nouveau à l’Art déco
Après avoir construit de luxueuses villas de style Art nouveau dans le nord de la France, dont il est originaire, Louis Bonnier (1856-1946) poursuit sa carrière à Paris. Cet architecte brillant et prolifique est avec Henri Sauvage (1873-1932), l’un des principaux acteurs du passage de l’Art nouveau à l’architecture moderne.
Dans les années 1920, alors au sommet de sa carrière, il est inspecteur général des services d’architecture et d’esthétique de la ville de Paris. Pour ce projet, il est assisté d’un ingénieur, M. Girard, et d’un architecte, M. Bois.
Un bâtiment à la pointe de la modernité
Des études préalables en France et à l’étranger ont permis à Louis Bonnier de connaître les dernières innovations en matière d’équipements nautiques.
N’oublions pas que c’est dans la piscine de la Butte-aux-Cailles que fut réalisée pour la première fois en France la séparation des cabines du bassin et l’entrée de celui-ci par la salle de propreté
L’architecture d’aujourd’hui, avril 1934, p. 58
Cette idée a été reprise dans toutes les piscines construites ensuite.
Si le bâtiment de Louis Bonnier est doté d’une façade en briques, il fait la part belle au béton, aux briques de verre et au carrelage, matériaux phares du style Art déco. La voûte de béton s’élève avec grâce, offrant une nef de 40 mètres de long soutenue par sept arcs en plein cintre entre lesquels se glisse une série de coupoles translucides. Revêtue de blanc, la nef est lumineuse avec ses fenêtres basilicales pratiquées dans une sorte de long lanterneau qui surplombe les fermes en béton armé. L’architecture évoque celle d’une église mais il s’agit bien d’une piscine : le bassin fait 12 mètres de large sur 33,33 mètres de long. Il est bordé de deux tribunes, une pour le public de 400 places et une plus petite pour le jury, ce qui lui permet d’accueillir des compétitions.
Ce complexe comporte en outre de nombreuses salles. Un hall de déshabillage avec 166 cabines réparties sur trois étages. Une cheminée de 40 mètres de haut. Au sous-sol, une chaufferie avec 15 chaudières, une salle des filtres, une buanderie et une salle de contrôle. L’eau du bassin peut être entièrement renouvelée en vingt-quatre heures, garantissant une meilleure hygiène, contrairement aux autres piscines qui se contentent de la filtrer.
Le nouveau bâtiment offre également des bains-douches avec leur propre hall d’entrée, 100 cabines réparties dans deux salles (une pour les femmes et une pour les hommes) sur deux niveaux.
Fait suffisamment rare pour être souligné, le budget de 4 400 000 francs de l’époque a été tenu. Le succès public est au rendez-vous avec des pics de fréquentation en plein été : 30 000 entrées pour le mois de juillet 1928, 2 000 entrées en août pour une seule journée pendant le week-end. Lors de ces périodes de très forte affluence, les usagers ont droit à des créneaux horaires limités à 50 minutes, d’après l’Excelsior du 14 août 1928.
Cet équipement nautique ouvre la voie à d’autres du même style qui seront construits dans les années suivantes : piscine de la rue Blomet (1925), piscine des Amiraux par Henri Sauvage, piscines Molitor (1929) et Pontoise (1933) par Lucien Pollet. Entre 1920 et 1930, Paris se dote de nombreuses piscines.
Une centenaire toujours innovante
En 2014, la rénovation de cet équipement sportif, inscrit au titre des monuments historiques en 1990, a restitué les qualités initiales de l’édifice en remettant sa structure en valeur et en lui redonnant sa couleur blanche d’origine.
Actuellement elle possède en plus deux bassins extérieurs dont l’un chauffé grâce à l’énergie produite par un data center, une innovation qui fait renouer l'édifice avec l'esprit pionnier de ses débuts.
Pour aller plus loin
La chaleur de l’Été : la piscine de la Butte-aux-Cailles, sur le site de la Cité de l’architecture
Louis Bonnier sur le site du Centre d'archives d'architecture contemporaine Archiwebture