La mode anglomane au 18ème siècle
Dans le cadre du projet européen Digitens auquel collabore la BnF, portant sur les sociabilités britanniques au 18ème siècle, des marque-pages ont été édités à l'effigie des silhouettes de mode anglomane, échappées des pages du premier journal de mode français, le Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises. Nous vous proposons de retracer ici la fureur anglomane qui s'est emparée du vestiaire parisien dans la deuxième moitié du 18ème siècle, et d'exposer ici quelques-unes de ses pièces maîtresses.
La redingote des cavaliers, littéralement "riding-coat", franchit la Manche sous Louis XV; puis sous Louis XVI, le frac et le chapeau rond, empruntés aux classes laborieuses par la bonne société masculine anglaise, que l'on accuse de se vêtir à la façon des cochers.
On peut lire dans le Mercure de France de février 1726:
L'aspect rustique en est toutefois souligné, puisque la description s'achève sur le commentaire de bon sens suivant:Depuis l'année passée les hommes portent beaucoup de redingotes; c'est une espèce de grand surtout boutonné par devant avec un collet et des ouvertures par derrière et aux cotés, dont l'origine vient d'Angleterre.
"C'est à la vérité un habit très propre pour monter à cheval et pour résister aux injures de l'air."
Un peu plus tard au cours du 18ème siècle, c'est par l'intermédiaire de Gravelot, un dessinateur français de retour au pays natal en 1754 après un séjour de vingt ans en Angleterre, qui diffusa une série d'estampes de mode, que les femmes françaises font connaissance avec la mantua, qui devient en France la robe à l'anglaise.
"Vers 1780, une grande révolution s'accomplit dans la mode : la révolution de la simplicité..."
La mode féminine ne s'ingénie plus qu'à être simple. Elle ne fait plus travailler les couturières et les tailleuses que sur la mode masculine ou sur la mode anglaise, ses deux patrons de simplicité."
Cette anglomanie vestimentaire, premier degré d'imitation de l'anglomane, est décrite par Louis-Sébastien Mercier, dans un chapitre du Tableau de Paris, Tome 7 (1783), intitulé "Le fat à l'anglaise":
C'est aujourd'hui un ton parmi la jeunesse de copier l'Anglais dans son habillement. Le fils d'un financier, un jeune homme dit de famille, le garçon marchand prennent l'habit long, étroit, le chapeau sur la tête, les gros bas, la cravate bouffante, les gants, les cheveux courts et la badine. Cependant aucun d'eux n'a vu l'Angleterre et n'entend un mot d'Anglais."
In France, where the fashions are still more transient than with us, it has been found advantageous to publish twice in every month a little work on that subject only, which is delivered by subscription, and sold for two shillings each number, in London...The French cabinet des modes has made it's way into all parts of Europe, and the English Fashionable Magazine bids fair to become still more popular.
Le Cabinet des Modes étaient distribuées dans toutes les grandes capitales d'Europe et ce jusqu'en Russie: en inventant le magazine de mode, il se substituait ainsi à la poupée habillée grandeur nature à la dernière mode de Paris, qui était envoyée aux quatre coins de l'Europe, comme en atteste là aussi Louis-Sébastien Mercier dans les Tableaux de Paris, Tome 2, à l'article "Les marchandes de modes":
un Dessinateur habile, entretenu à grands frais à Londres, est chargé de ne nous laisser ignorer aucune des Modes nouvelles qui auraient échappées au Journaliste Anglais.
L'anglaise figurée dans la Planche 1ère, porte une redingote d'homme, de drap couleur olivâtre, à trois grands colets, tombant très bas au-dessous de s épaules, à grands revers doubles de satin violet...p.35
Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées 1786
Si grande que soit la quantité de redingotes, autrement dit, des robes Franco-Anglomanes, que nous avons données, il faut pourtant que nous en donnions encore. Nos Dames n'ont presque plus d'autres habillements. (seconde année, n°7)
L'objectif du projet DIGITENS est de construire un cadre afin de mieux appréhender les interactions, les tensions, les limites et les paradoxes propres aux modèles européens de sociabilité et d’étudier la question relative à l'émergence et la formation des modèles européens de sociabilité tout au long du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un projet européen RISE (Research and Innovation Staff Exchange) piloté par le laboratoire HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image) de l’Université de Bretagne occidentale basée à Brest qui rassemble 11 partenaires originaires de France, de Pologne, du Royaume-Uni et du Canada.
Le projet DIGITENS est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°823863).