Le Symbolismepar Aude Jeannerod

Triste montée

« Vêtir l’Idée d’une forme sensible »
C’est par ces mots que Jean Moréas définit le symbolisme dans son « Manifeste littéraire » publié dans Le Figaro du 18 septembre 1886. Ce texte est l’acte de naissance du mouvement symboliste, qui correspond à une réaction idéaliste contre le matérialisme ambiant.
En effet, la fin du XIXe siècle connaît une crise des valeurs, due au recul de la foi religieuse et à la montée du matérialisme, c’est-à-dire de l’opinion selon laquelle seul le monde physique existe. Contrairement au naturalisme zolien, qui veut représenter la nature, le monde extérieur et concret, le symbolisme cherche à représenter l’Idée, la vie spirituelle et intérieure de l’homme. Aussi s’oppose-t-il également au mouvement du Parnasse, pour qui la poésie devait rechercher la Beauté et non exprimer des idées.
Selon les symbolistes, le réel ne se réduit pas à ce qui est sensible, visible et tangible, bien au contraire. Sur le plan artistique, le monde des idées leur semble beaucoup plus fécond que la seule matière ; aussi doit-il être représenté par l’art. Pour ce faire, ils recourent au symbole : ils utilisent le détour de l’image afin de donner une forme concrète à une idée abstraite. Les écrivains symbolistes pratiquent ainsi la comparaison, la métaphore et l’allégorie. Simultanément, les peintres symbolistes, tel Odilon Redon, utilisent également le symbole pour représenter des états psychologiques comme le sentiment, le rêve, l’imagination, la folie, etc.
 
Correspondances musicales
Le symbolisme est un mouvement essentiellement poétique, mais sans figure majeure ; aussi Moréas et ses confrères se tournent-ils vers leurs aînés afin d’y trouver d’illustres prédécesseurs : Baudelaire et Rimbaud, qui ont exploré les ressource du poème en prose ; Verlaine et Mallarmé, qui ont mis à mal l’hégémonie de l’alexandrin et du vers pair. Ce sont ces poètes précurseurs, issus des générations précédentes, qu’on a aujourd’hui coutume de désigner par le terme « symbolistes ».
En effet, pour exprimer l’Idée, les poètes symbolistes sont à la recherche d’une forme poétique neuve, car le vers régulier et la métrique traditionnelle leur semblent trop rigides. Comme Arthur Rimbaud, ils pensent que le poète doit « trouver une langue ». Cette langue poétique doit être distincte de la langue ordinaire, qui sert à communiquer dans la vie quotidienne, mais elle n’est pas non plus le vers classique. Ils pratiquent donc le vers libre, dont la forme ne répond pas à une exigence extérieure, c’est-à-dire à un nombre de syllabes donné, mais à une nécessité interne, celle de la pensée. Selon Gustave Kahn, un vers est la rencontre « de la pensée et de la forme de la pensée ».
Pour justifier leurs recherches sonores et rythmiques, ils se réclament de la musique, qui leur fournit un modèle esthétique. Au premier vers de son poème « Art poétique », Verlaine réclame en effet « De la musique avant toute chose ».
Les écrivains symbolistes inspirent à leur tour les musiciens : le compositeur Claude Debussy met en musique la pièce de théâtre Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck pour en faire un opéra ; il compose également le Prélude à l’après-midi d’un faune en hommage à l’œuvre de Stéphane Mallarmé. Le symbolisme promeut en effet l’idéal baudelairien d’un art total, où « Comme de longs échos qui de loin se confondent […], les couleurs et les sons se répondent » (Baudelaire, « Correspondances »).
 
En savoir plus :
> Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
> Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, 1873
> Paul Verlaine, Romances sans paroles, 1874
> Jules Laforgue, Les Complaintes, 1885
> Jean Moréas, « Manifeste du symbolisme », 1886
> Arthur Rimbaud, Illuminations, 1886
> Paul Verlaine, Parallèlement, 1889
> Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande, 1892
> Stéphane Mallarmé, Poésies, 1899