Poétique et poésie
Au XVIIIe siècle, le vers est la forme par excellence. Le champ de la poésie est vaste, comportant des débats sur la richesse expressive de la langue française comparée aux langues grecque et latine, sur l'éloquence, sur les sciences, sur les beaux-arts et, plus largement encore, proposant des conceptions différentes de l'histoire. La poésie offre une variété de genres pour prendre en compte toutes ces réflexions : des genres hérités de l'Antiquité (épopée, ode, épître, satire, élégie) ou plus récents (cantate, stances), et des formes plus légères (conte, églogue, idylle, fable, sonnet), voire la poésie fugitive, liée à la circonstance (épigramme, madrigal, impromptu, inscription, portrait, épitaphe, chanson), des ouvrages d'éloquence (discours en vers), des ensembles dramatiques (tragédie en vers, comédie en vers, tragédie lyrique, pastorale dramatique, oratorio, vaudeville) et des sommes didactiques (poèmes religieux, scientifiques, philosophiques). Les variations multiples de la poésie légère illustrent la confiance que l'homme des Lumières fait aux mots pour éclairer et transformer les choses.
La querelle des Anciens et des Modernes anime la fin du XVIIe siècle et le combat penche nettement du côté des Modernes : le Louvre plus beau que le Colisée, Pascal plus profond que Platon, Boileau supérieur à Horace… Des traductions rivales d’Homère s’affrontent, sans qu’aucune apparaisse satisfaisante. Les esprits s’apaisent et Voltaire y contribue en défendant avec force l’artifice du discours poétique au service du mouvement de l’histoire.
Dans son poème Le Mondain (1736), Voltaire exalte le goût moderne prônant le plaisir et l’aisance que procure une civilisation raffinée. Les idées prennent plus de place que l’émotion convenue des vers, y compris dans la poésie officielle de l’enthousiasme épique (cf. La Henriade, 1730, ou La Bataille de Fontenoy, 1745).
La poésie légère, illustrée par Desforges-Maillard, sait être féroce, mais pour la bonne cause et sans acharnement. La déconfiture des sots et des méchants offre, pour tous les autres, un spectacle réjouissant. En contrepoint, la poésie idéaliste s’efforce de déchiffrer les mystères de l’univers, de dire la relation de l’homme avec le cosmos et l’unité du monde, de faire retentir les voix du silence de l’au-delà, pour que la collectivité puisse prendre possession de son propre destin. Voltaire célèbre ce genre avec L’Ode sur la mort de Mlle Lecouvreur, en 1730.
Plus avant dans le Siècle des lumières, tout est prétexte à versification : Fontanes décrit l’astronomie ; Esménard, la navigation ; l’abbé Roman, les échecs. Dans ce genre de poésie didactique, un auteur émerge, André Chénier (1762-1794), avec son ambitieux projet d’une épopée de la nature et de l’homme. Le poème se serait intitulé Hermès, avec pas moins de 10 000 vers. Il n’en reste que des fragments. L’Amérique, autre grand projet de Chénier, envisageait une histoire de l’Europe vue de l’autre côté de l’Atlantique. Son frère Marie-Joseph s’en inspire pour la pièce Charles IX, qui lui confère la célébrité. En 1789, André Chénier espère la régénération de l’esprit et publie Le Jeu de Paume, poème dédié à Louis David. Journaliste engagé dans la Contre-Révolution, la mort l’arrache en 1794. La postérité retient des œuvres de jeunesse : Bucoliques, Élégies et son poème Les Amours, exercices d’un lecteur de grec et de latin assez fougueux déjà.
La poésie du XVIIIe siècle révèle les espoirs d’une époque, une nouvelle beauté à suivre après le naufrage et l’inachèvement. Cette poétique est un langage qui prépare l’avenir.
EN SAVOIR PLUS
> Voltaire, La Henriade, Paris, Robert, 1813
> Voltaire, Le Mondain, Paris, 1736
> Voltaire, La Bataille de Fontenoy, Paris, Prault père, 1745
> André Chénier, Les Bucoliques, 1788
> André Chénier, Le Jeu de Paume, Paris, E. Renduel, 1833