Dandysmes littérairespar José-Luis Diaz

Charles Baudelaire (1821-1867)

La notion de dandysme littéraire apparaît pour la première fois en 1832, sous la plume d’un critique de la Revue de Paris affirmant dans sa recension d’un roman mondain de Paul de Musset : « Ce roman appartient à l'école du dandysme littéraire ».

Une première scénographie auctoriale aristocratique

Plus que d’une école au sens propre, il s’agit là d’une scénographie auctoriale, soit donc d’une des nouvelles figures de la comédie littéraire qui se déploie alors avec exubérance. Le dandysme littéraire prend le contrepied de ces autres mises en scène que, sur le registre misérabiliste, jouent à la même époque les Jeunes-France lycanthropes à la Pétrus Borel, puis dans les années 1840 les bohèmes. Se définit ainsi un premier dandysme littéraire, dont, aux côtés de son frère, Alfred de Musset est l’un des premiers fleurons, mais que Byron est censé avoir incarné avant lui.

Plus que par leur manière de se vêtir et de suivre la mode, c’est par leur affectation de libertinage et leur pose aristocratique que se définissent ces premiers dandies. Quant à leur prestation littéraire, en prose ou en vers, elle consiste à manier l’impertinence, à se moquer du lecteur et à le brusquer, tout en « jouant l’aisance du grand seigneur qui n’écrit que par oisiveté ». Ce qui dans la littérature panoramique du temps ne manque pas de déclencher des moqueries contre ces « lions littéraires » qu’épingle en sa Physiologie du lion Félix Deriége (1842).

Portrait du dandy en « oseur »

Mais en cette décennie nouvelle, c’est grâce surtout à Barbey d’Aurevilly et à Baudelaire qu’une nouvelle figure du dandysme littéraire se définit. Selon le premier, le dandysme est bien plus qu’une simple « dictature en fait de toilette et d'élégance » : « toute une manière d'être ». Barbey fait du dandy un « oseur », qui veut « toujours produire la surprise en gardant l'impassibilité ». Et il considère Brummel comme une sorte d’artiste dans la vie : « C’était un grand artiste à sa manière, seulement son art n'était pas spécial, ne s'exerçait pas dans un temps donné. C'était sa vie même » (Du dandysme et de G. Brummel, 1845).

Baudelaire s’empare de manière encore plus systématique de la notion. Selon lui, le dandysme n'est pas, « comme beaucoup de personnes peu réfléchies paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l'élégance matérielle ». C’est « avant tout le besoin ardent de se faire une originalité, contenu dans les limites extérieures des convenances. […] C'est le plaisir d'étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné » (Le Peintre de la vie moderne, 1863). À ses yeux « l’écrivain-dandy est celui qui méprise l’opinion commune et ne s’attache qu’au beau » (Charles Asselineau).

Baudelaire songe à écrire un essai sur « Le Dandysme littéraire ou la Grandeur sans convictions » (lettre à Poulet-Malassis, 4 février 1860), dont les héros auraient été Chateaubriand, le marquis de Custine, Paul de Molènes, Barbey d’Aurevilly, peut-être Stendhal. Sont aussi dandys à ses yeux ses peintres préférés, Eugène Delacroix et Constantin Guys. Et lui-même aspire à incarner une telle figure, plutôt même que celle de l’artiste, qu’il juge dévaluée en raison de ses relents trop populaires. Ce qui n’empêche pas Théophile Gautier de le tenir pour « un dandy égaré dans la bohème ».

Postérités du dandysme littéraire

Se codifie ainsi une posture littéraire à laquelle, après lui, on rattache divers écrivains : Villiers de l’Isle Adam et Catulle Mendès pour ce qui concerne la lignée Baudelaire-Barbey, mais aussi tous ceux dont les accointances mondaines influent sur leur manière d’écrire et d’être écrivain : Paul Bourget, Maurice Barrès, Pierre Loti, Oscar Wilde et jusqu’à Marcel Proust.


En savoir plus
- Karin Becker, Le Dandysme littéraire en France au XIXe siècle, Paris, Éditions Paradigme, 2010.
- Émilien Carassus, Le Mythe du Dandy, Paris, Armand Colin, 1971.
- Françoise Coblence, Le Dandysme, Paris, Klincksieck, 2018.
- José-Luis Diaz, « Le dandysme littéraire après 1830, ou la Badine et le Parapluie », Romantisme, n° 72, 1991-1, p. 33-47.
- Balzac, Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Sur le dandysme, éd. par Roger Kempf, Paris, UGE, 1971.
- Henriette Levillain, L'Esprit dandy : De Brummell à Baudelaire, Paris, José Corti, 1991.
- Eugène Marsan, (1882-1936), « Dandysme littéraire : Barbey d'Aurevilly, Baudelaire, Balzac », Revue hebdomadaire, 28 juillet 1923.
- Alain Montandon, L'Honnête Homme et le dandy, Gunter Narr Verlag, 1993,
- Marie-Christine Natta, La Grandeur sans convictions. Essai sur le dandysme, Paris, Éditions du Félin, 2011.
- John C. Prévost, Le Dandysme en France (1817-1839), Genève, Slatkine, 1982.
- Jean-Pierre Saïdah, Dandysme social et dandysme littéraire à l’époque de Balzac (Thèse Bordeaux, 1990).
- « Le diable en habit dandy ou le triomphe du dandysme littéraire dans Albertus », Bulletin Théophile Gautier, n° 14, 1992, p. 25-45.
- Daniel Salvatore Schiffer, Le Dandysme : la création de soi, Paris, François Bourin, 2011.