Peau d'Âne
Il n'est pas malaisé de voir
Que le but de ce conte est qu'un enfant apprenne
Qu'il vaut mieux s'exposer à la plus rude peine
Que de manquer à son devoir ;
Que la vertu peut être infortunée,
Mais qu'elle est toujours couronnée ;
Que contre un fol amour et ses fougueux transports
La raison la plus forte est une faible digue,
Et qu'il n'est point de si riches trésors
Dont un amant ne soit prodigue ;
Que de l'eau claire et du pain bis
Suffisent pour la nourriture
De toute jeune créature.
Pourvu qu'elle ait de beaux habits ;
Que sous le ciel il n'est point de femelle
Qui ne s'imagine être belle,
Et qui souvent ne s'imagine encore
Que si des trois beautés la fameuse querelle
S'était démêlée avec elle, elle aurait eu la pomme d'or.
Le conte de Peau d'Ane est difficile à croire ;
Mais tant que dans le monde on aura des enfants
Des mères et des mères-grands,
On en gardera la mémoire.
Perrault, Contes, 1697
> Texte intégral sur Gallica : Paris, T. Lefèvre , 1884