Émilie Du Châtelet, la femme des LumièresEntretien avec Elisabeth Badinter. Chroniques de la BnF.
L'un des traits essentiels de l'esprit de cette époque consiste en un rejet de l'irrationnel, du dogmatisme et de l'intolérance. Les hérauts de cette époque affirmaient qu'aucune autre autorité que la Raison et, au premier chef, les pressions religieuses et idéologiques, ne devait régir la pensée. Les Lumières ont écarté la bien-pensance des siècles précédents. Madame Du Châtelet, qui a fait preuve pour l'époque d'une grande audace en examinant tout au crible de la raison et en particulier la Bible, est une agnostique et peut-être même une secrète athée. En cela aussi c'est une parfaite fille des Lumières.
Ses enseignements pourraient être de poids au regard de l'actualité car, en remettant en cause les dogmes, on ouvre la porte à la liberté de penser. Comme les hommes des Lumières, elle s'autorise à réfléchir par ellemême y compris contre Voltaire. Il y a chez elle une volonté de libération par le savoir, que nous avons un peu perdue aujourd'hui. Les femmes de la haute société au XVIIIe siècle avaient la liberté d'aller et de venir, de s'exprimer, de s'instruire. Un nombre plus grand qu'on ne le croit en a usé. J'ai beaucoup de tendresse et d'admiration pour toutes celles qui ont été de vraies savantes, telles l'anatomiste Marie d'Arconville ou madame Lepaute qui avait effectué les calculs si complexes du retour de la comète en 1759.
Il faudrait que revive cet esprit. La Révolution, en privilégiant les thèses de Rousseau, a contribué à l'enfermement des femmes. Le Code civil de Napoléon les a mises sous tutelle. Ce n'est qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'elles retrouveront une plus grande liberté.
Entretien avec Elisabeth Badinter. Chroniques de la BnF, à partir de l’exposition présentée par la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, du 7 mars au 3 juin 2006, sous la direction d'Élisabeth Badinter et Danielle Muzerelle.