La fable et l’emblèmeDanièle Thibault et Anne Zali
« Plus par douceur que par force » (Phébus et Borée), dit le titre de cet emblème dont le commentaire indique que Phébus obtient davantage sans violence que l'agressif Borée dont les vents glacés n'ont aucun pouvoir pour faire perdre à l'homme son manteau, alors qu'il suffit à Phébus de briller pour que la chaleur le contraigne à s'en dépouiller. La Fontaine a repris fidèlement ce thème dans sa fable Phébus et Borée.
Il est certain que les livres d'emblèmes, en grande vogue au XVIIe siècle, ont eu une immense influence tant sur la réception des Fables que sur leurs procédés de composition. Le recours à la totalité ou à certains des éléments de la structure emblématique permet à La Fontaine un considérable assouplissement du modèle ésopique, construit sur une alternance quasi mécanique du récit et de la moralité, systématiquement introduite par : « la fable montre que... »
Alliances du texte et de l'image, ou l'obscurité radieuse de l'emblème
C’est Alciat, en 1531, à Augsbourg, qui inaugure avec ses Emblemata la longue fortune des livres d'emblèmes.
L'emblème est construit sur une structure à trois étages qui associe image et texte dans un processus de dévoilement d'une vérité obscure, laquelle, « ne pouvant estre entendue de prime face, requiert une explication » (Sambucus, 1564) :
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un titre, ou motto;
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une figure gravée, ou corps de l'emblème;
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une épigramme, ou âme de l'emblème.
Son développement correspond à l'expérience d'une insuffisance du langage, de son inaptitude à exprimer les mystères du Livre de la Nature qui ne s'offrent qu'à l'intuition. L'emblème se situe très précisément dans l'écart entre les mots et les choses, il met en jeu dans cet intervalle la rencontre entre deux opacités : l'obscurité relative de l'image et la formulation elliptique du texte. C'est de leur confrontation que naît l'illumination du sens, chacune d'elles aidant à dissiper l'ombre de l'autre.
Le livre d'emblèmes aux XVIe et XVIIe siècles a pris en charge des messages très variés. Moral et souvent d'inspiration païenne au départ, il assume avec la Réforme catholique l'explication de l'Écriture et enrichit l'art de méditer (notamment dans la littérature jésuite consacrée à la méthode ignatienne d'oraison mentale), mais il concourt aussi, avec la devise héroïque, à développer en France une propagande à la gloire de l'absolutisme royal. Il lui est reconnu une vocation à enseigner des vérités spirituelles. Sa partition texte / image, qui renvoie à la partition âme / corps, ne figure-t-elle pas aussi la séparation du ciel et de la terre, permettant ainsi de remonter de l'intelligence de l'emblème à l'intelligence du monde?
L'emblème dans les Fables
La structure de l'emblème se retrouve très largement, diversement modulée dans les Fables de La Fontaine :
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le motto se retrouve souvent dans la formule de portée générale qui introduit la fable, par exemple « A l'œuvre on connaît l'artisan », qui ouvre Les Frelons et les Mouches à miel, bon exemple de fable construite sur le modèle emblématique ;
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la figure gravée, corps de l'emblème, pourrait être le récit lui-même (il sait bien donner à voir), si l'on ignorait la part décisive de l'image dans les fabliers du XVIIe siècle (souvent seule voie d'accès pour les collégiens à l'univers des formes) et la présence, dans toutes les premières éditions des Fables, des vignettes de François Chauveau ;
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la conclusion morale, qui peut parfois donner lieu à de vrais discours philosophiques, rappelle l'épigramme de l'emblème.