À propos de l’auteurCapucine Echiffre
Une origine indexée à l’Allemagne et au Valois
Né en 1808 d’un père médecin militaire de la Grande Armée, Gérard Labrunie est très vite confié à un grand-oncle installé dans le Valois. Son père doit en effet accomplir son service en Allemagne et en Autriche, où sa femme l’accompagne. Elle meurt en Silésie deux ans plus tard, alors que le très jeune Gérard l’a à peine connue. Cet événement marque fortement son œuvre, qui n’a de cesse de revenir sur une origine mystérieuse bien souvent teintée de germanisme. Sa première publication importante est une traduction du premier Faust de Goethe, en 1827. Jusqu’à la fin des années 1840, plusieurs traductions de l’allemand jalonnent sa production, avec une prédilection pour la poésie qui fait de lui l’introducteur réel de l’œuvre poétique de Heinrich Heine, en 1848.
Rattaché à cette fascination pour l’origine, son intérêt pour les chansons populaires, en particulier celles du Valois de son enfance, apparaît dès les années 1830. Le pseudonyme de « Nerval », attesté pour la première fois en 1836, est le nom d’un site de cette région. Cette attirance donne lieu à un essai de 1842 repris plusieurs fois jusqu’en 1854, où il est intégré aux Filles du feu. Sa propre production poétique en porte elle aussi la marque. Les poèmes rassemblés plus tard sous le titre Odelettes (1853) se distinguent du lyrisme contemporain par leur plus grande simplicité et leur proximité avec la musicalité de la chanson traditionnelle.
Nerval en son temps : cercles artistiques et activités journalistiques
Au cours de la période romantique, Nerval est un habitué des cercles artistiques et collabore à divers journaux et revues. Il participe ainsi en 1830 à la bataille d’Hernani et fréquente entre autres le Petit Cénacle qui réunit les romantiques marginaux. Il retrouve de fait chez ces derniers un goût prononcé pour le macabre et le mystère, autres nouveautés apportées par la littérature allemande (mais aussi anglaise), et que l’on retrouve dans ses Contes et facéties (1852). Mais ce sont ses travaux journalistiques qui l’occupent le plus. L’héritage dont il bénéficie en 1834 lui permet en effet de créer Le Monde dramatique, revue qui fait cependant rapidement faillite et l’oblige à multiplier les articles de presse pour vivre. Le milieu des années 1830 correspond aussi aux soirées insouciantes de la bohème du Doyenné, en compagnie notamment de Théophile Gautier et d’Arsène Houssaye. Ceux-ci joueront un rôle de premier plan dans la construction de son image publique après sa mort. En 1853, Nerval lui-même revient sur cette période avec une certaine nostalgie dans l’œuvre à caractère autobiographique que constituent les Petits Châteaux de Bohême.
Le tournant de 1841 : vers la folie mystique
L’année 1841 marque un tournant dans la vie de Nerval, avec la première crise de folie qui le mène à la clinique du Docteur Esprit Blanche. C’est à cette époque que sont écrits plusieurs poèmes des Chimères, recueil publié seulement en 1854 à la suite des Filles du feu. L’unité du sujet y est diffractée sous de multiples masques à l’identité problématique. De cette époque aussi date le voyage en Orient, autre lieu de l’origine et du mystère sacré, dans l’imaginaire nervalien, comme en témoigne le récit qu’il publie en 1851 sous le titre Voyage en Orient. À plusieurs reprises, les écrivains qu’il côtoie font état de ses troubles psychiques dans la presse, ce qu’il s’emploie à démentir en mettant en avant la maîtrise dont font preuve ses œuvres, en dépit de l’univers parfois étrange qu’elles construisent. Plus que jamais, Nerval retravaille et reconfigure ses textes, tandis que les rechutes et les internements se succèdent à partir de 1852. C’est dans de telles conditions, agissant sur sa création à la fois comme des stimulations et des obstacles, que paraissent deux œuvres majeures : Les Filles du feu et Aurélia, nouvelle dont la publication est brutalement interrompue par le suicide de l’auteur en janvier 1855, et dont le degré d’achèvement reste de ce fait indécidable.
De la marginalité à la reconnaissance littéraire
Considéré de son vivant comme un écrivain mineur, Nerval commence à être reconnu littérairement à partir des années 1880, en particulier grâce aux symbolistes qui font de ses dernières œuvres l’emblème d’une poétique du symbole. À côté de cette image, toujours présente, s’ajoute celle de l’écrivain fantaisiste. C’est du reste le ton à la fois badin et tendre des Odelettes ou de Sylvie qui demeure le plus largement connu aujourd’hui.