Jugements et critiques

Châtiments

Jules Hetzel

« Les Châtiments resteront comme une de ces œuvres éternelles qui plaident aux yeux de l’avenir pour les faiblesses d’un peuple aveuglé, et qui finalement les rachètent. "La lumière était donc quelque part. Il y avait donc quelque part un flambeau qu’aucune tempête n’avait pu éteindre, se diront nos enfants. Rien n’était dès lors tout à fait perdu, puisque, du milieu des abaissements les plus extrêmes, une telle voix parlait encore." »
(Les Châtiments, édition de 1870, « Avertissement de l’éditeur »)
 

Théodore de Banville

« Pour moi, je serais presque tenté de m’étonner chaque fois que je vois un grand poète emprunter ses inspirations à la politique. Car à peine a-t-il forgé ces immortelles armes d’or pour frapper et pour foudroyer ces passants éphémères : les rois, les conquérants, les bouchers et les pasteurs d’hommes, que le Temps a, de son doigt d’airain, tourné un des feuillets de son livre et pour jamais rejeté dans la nuit ce qui remplissait l’univers de ses fanfares et de ses tumultes. Je dis que j’en serais presque étonné, et non tout à fait, car en écrivant Les Châtiments, il a fait plus et mieux que de juger et de condamner tels ou tels hommes. Il a en une fois et tout d’un coup, comme une créature à qui les mondes ne coûtent rien, rajeuni, repétri, transformé vingt formes de l’art, forçant la satire à se faire, sous sa main de géant, ode, épopée, roman, tragédie, chanson, et à soupirer et à chanter, elle qui n’avait jamais fait que rugir, et à résonner, tour à tour sur toutes les cordes diverses de la lyre. Là est la merveille, là est le prodige que rien ne peut diminuer, et quel spectacle inouï de voir celui qui chante comme Pindare et comme Eschyle devenir, sans cesser de faire résonner l’harmonieuse cithare, un comique, un bouffon géant et divin comme Rabelais, dont le rire entrechoque les montagnes et fait éclater de joie les astres et les tonnerres. »
(Le National, 30 novembre 1870)
 

Rimbaud

« J’ai Les Châtiments sous main ; "Stella" donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. »
(Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871)
 

Charles Péguy

« De tous les livres du monde, vous le savez, il n’y a pas dans les livres de l’humanité un seul livre qui soit certainement aussi pamphlétaire, aussi polémique, et certainement aussi lyrique, sinon tragique, mais peut-être aussi épique que Les Châtiments. »
(Clio, Gallimard, 1932, p. 58)
 

Aragon

« Hugo avait quarante-neuf ans quand le 2 décembre amena enfin à maturité cette voix formidable, cette poésie grandiose. Ici, Hugo est devenu l’homme non plus d’idées élevées mais lointaines, mais d’une œuvre qui implique l’action, et l’ordonnement de l’action. Cela s’appelle d’un nom : il est devenu l’homme d’un parti. L’ancien monarchiste, le pair de France, l’histoire en a fait le républicain conséquent, le plus convaincu, le plus efficace. Elle a uni l’action au chant, l’idée et la pratique, elle a transformé celui qui se cramponnait à la berge des événements en capitaine dans la tempête. Il est monté sur le navire, il ne regarde plus en arrière. Et maintenant, va, grandis, poète ! le flot t’emporte, mais c’est vers l’azur. »
(Avez-vous lu Victor Hugo ?, anthologie poétique commentée par Louis Aragon, Les Éditeurs français réunis, 1952, p. 98-99)