À propos de l'auteurSarah Tournerie
Alfred de Musset naît à Paris en 1810, huit ans après Victor Hugo, dans une famille bourgeoise. C’est un élève brillant couronné de prix qui font l’admiration de sa mère, mais sa vie d’étudiant sera courte et agitée. Après son baccalauréat, il abandonne rapidement ses études pour mener une vie de dandy, fréquentant les maisons closes et abusant de l’alcool. À dix-neuf ans, il déclame lors d’une soirée du Cénacle une Ballade à la lune, qui le fait remarquer. Il se considèrera cependant toujours en marge de l’école romantique jugeant qu’il « était important de se distinguer de cette école rimeuse qui a voulu reconstruire et ne s’est adressé qu’à la forme, croyant rebâtir en replâtrant ».
À vingt-deux ans, son père meurt au cours de l’épidémie de choléra qui touche Paris. Cette disparition le marque profondément et le contraint à travailler. Il décide de vivre de sa plume et écrit des textes dans la Revue des Deux mondes, mais la création est assez laborieuse. Il écrit ainsi à Paul Foucher : « Je me sens par moments une envie de prendre la plume et de salir une ou deux feuilles de papier ; mais la première difficulté me rebute et un souverain dégoût me fait étendre les bras et fermer les yeux. »
En juin 1833, il rencontre George Sand au cours d’une soirée organisée par François Buloz, rédacteur en chef de la Revue des deux mondes à laquelle George Sand collabore aussi. En juillet, ils sont amants ; à l’automne ils partent en Italie. Ce voyage va s’avérer catastrophique car George contracte la dysenterie à Venise puis c’est Alfred qui tombe malade. Il a des crises de démence, il court nu dans la pièce ou essaye d’étrangler George : « des cris, des chants, des hurlements, des convulsions, ô mon Dieu, mon Dieu, quel spectacle ! » écrit-elle. Toute sa vie, Musset sera victime de telles crises. Quant à George, elle a une liaison avec Pagello, le médecin italien de Musset, qui la protège aussi de ses accès de violence. Musset découvrant leur liaison, l’insulte, la retient dans sa chambre ou la pourchasse dans Venise. Puis il rentre à Paris et commence au printemps 1834 On ne badine pas avec l’amour, œuvre de commande de Buloz, et Lorenzaccio, dont le thème lui a été inspiré par George Sand. Au même moment, naît en lui l’idée d’écrire « notre histoire, il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur », écrit Musset à son ancienne maîtresse. Ce sera La Confession d’un enfant du siècle qui paraîtra en 1836.
Quelques mois plus tard, Sand quitte Pagello et reprend sa liaison avec Musset, aussi orageuse qu’avant : ces scènes, ces pleurs, ces repentirs font beaucoup souffrir l’écrivaine qui traverse une période sombre, d’autant que leurs frasques sont connues du public : « une vipère me mange le cœur » écrit-elle. En mars 1835, leur histoire se termine bel et bien. Musset retourne alors à l’écriture, aux salons et à ses maîtresses : Aimée d’Alton, Mme Jaubert, Louise la grisette, l’actrice Rachel, Melle Allan Despréaux… Il publie anonymement d’abord, en 1836-1837 les Lettres de Dupuis et Cotonet, pamphlet contre le mouvement romantique dont on peut retenir cette définition railleuse : « Le romantisme, c’est […] la robe blanche des saules ; ô la belle chose, monsieur ! C'est l'infini et l'étoilé, le chaud, le rompu, le désenivré, et pourtant en même temps le plein et le rond, le diamétral, le pyramidal, l'oriental, le nu à vif, l'étreint, l'embrassé, le tourbillonnant ; quelle science nouvelle! C'est la philosophie providentielle géométrisant les faits accomplis, puis s’élançant dans le vague des expériences pour y ciseler les fibres secrètes… »
Dans ces mêmes années il écrit Les Nuits : La Nuit de mai et La Nuit de décembre en 1835, La Nuit d’août en 1836, La Nuit d’octobre en 1837.
En 1840, à trente ans à peine, il commence une lente agonie sentimentale et artistique aggravée par une fluxion de poitrine qui l’affaiblit durablement. C’est un homme usé et précocement vieilli par l’alcool et la mélancolie qui se plaint souvent à son frère Paul que « la vie était longue et que ce diable de temps ne marchait pas ».
Quelques pièces de théâtre remarquées émergent d’une production passée quelque peu inaperçue : Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée (1845) puis en 1847, Un caprice, première œuvre présentée au théâtre dix-sept ans après l’échec de La Nuit vénitienne. Elle jouit d’un succès critique et populaire.
Musset reçoit la légion d’honneur en 1845, la même année que Balzac et est élu à l’Académie française en 1852.
En 1857, il écrit un poème sombre et découragé intitulé L’Heure de ma mort :
L’heure de ma mort, depuis dix-huit mois,
De tous les côtés sonne à mes oreilles […]
Plus je me débats contre ma misère
Plus s’éveille en moi l’instinct du malheur ;
Quelques semaines plus tard, il meurt, à 46 ans. Une trentaine de personnes sont présentes à son enterrement au Père Lachaise.
Des genres très variés
Alfred de Musset s’exprime dans des genres très variés : la poésie (Les Nuits, Rolla), le théâtre (Les Caprices de Marianne), la prose (La Confession d’un enfant du siècle). Il remet même au goût du jour le proverbe qui était un exercice consistant à composer une pièce de théâtre à laquelle un proverbe choisi à l’avance servait de modèle et donnait le titre de la pièce : On ne badine pas avec l’amour, Il ne faut jurer de rien, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée.
Musset décrit un amour absolu et exalté ; la souffrance qu’il procure est insoutenable, le désespoir qu’il génère impérativement est incurable. Mais cette exaltation tire le poète au-dessus des hommes.
Le thème du double est aussi permanent chez Musset. Lorenzaccio incarne parfaitement cette double personnalité, à la fois dépravée et cynique mais animée d’un idéal et faisant le sacrifice ultime de sa vie pour rétablir la justice.
Alfred de Musset fut longtemps raillé par ses contemporains qui jugeaient sa vie tourmentée et son style exagérément exalté et impudique. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que son œuvre fait l’objet d’une critique plus mesurée et que l’on reconsidère sa prose et son théâtre. La première représentation de Lorenzaccio par Sarah Bernhardt en 1896 contribua pour beaucoup à cette réhabilitation. L’étude de ses textes prit peu à peu le pas sur ses péripéties personnelles et l’ « immoralité » de Musset fut au contraire analysée comme un moyen d’appréhender la vérité par de nécessaires expériences de connaissance de soi. En transgressant la morale, il livrait la profondeur réelle des sentiments et osait écrire les épanchements du cœur.