La Constitution d’Angleterre, séparation des pouvoisMontesquieu, De l’Esprit des lois, 1748

De l’Esprit des lois

Travail d'une trentaine d'années, De l'Esprit des lois recense les lois de toutes les sociétés connues et les situe par rapport aux "causes physiques et morales" : climat, terrain, population, formes de commerce et de religion. L'ensemble, où tout se tient, forme « l'esprit général » de chaque nation. Montesquieu distingue trois formes de gouvernement, selon les degrés de liberté qu'ils comportent : la république (démocratie et aristocratie), la monarchie et le despotisme. L'opposition entre tyrannie et modération fonde cette nouvelle typologie des régimes politiques, la modération étant définie par le maintien du pluralisme : « Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Seuls les régimes modérés protègent la liberté des individus : Montesquieu apporte ainsi une contribution décisive à la doctrine du libéralisme politique.
La constitution anglaise est considérée, par les philosophes des Lumières, comme un système démocratique moderne. C’est Montesquieu qui en formule précisément les principes dans
De l’Esprit des lois.

 

La Constitution d’Angleterre. Livre XI, chapitre VI

Il y a, dans chaque état, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit, la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger ; et l’autre, simplement la puissance exécutrice de l’état.
La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté : et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

> Montesquieu, De l’Esprit des lois, 1748
> Texte intégral : Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1857