Analyse de l’Esprit des lois
D’Alembert 1755
Dans le cinquième volume de L'Encyclopédie, d'Alembert avait inséré sous forme de note une longue digression sur l'Esprit des lois dans laquelle il prend le parti de Montesquieu. Par la suite, ce texte, vu l'intérêt qu'il présente en lui-même, fut publié séparément sous le titre : Analyse de l'Esprit des lois.
Mais ce qui est à la portée de tout le monde dans l’Esprit des lois, ce qui doit rendre l’auteur cher à toutes les nations, ce qui servirait même à couvrir des fautes plus grandes que les siennes, c’est l’esprit de citoyen qui l’a dicté. L’amour du bien public, le désir de voir les hommes heureux s’y montrent de toutes parts ; et n’eût-il que ce mérite si rare et si précieux, il serait digne, par cet endroit seul, d’être la lecture des peuples et des Rois. Nous voyons déjà par une heureuse expérience, que les fruits de cet ouvrage ne se bornent pas dans ses lectures à des sentiments stériles. Quoique M. de Montesquieu ait peu survécu à la publication de l'Esprit des lois, il a eu la satisfaction d’entrevoir les effets qu’il commence à produire parmi nous ; l’amour naturel des Français pour leur patrie, tourné vers son véritable objet ; ce goût pour le commerce, pour l’agriculture et pour les arts utiles, qui se répand insensiblement dans notre nation ; cette lumière générale sur les principes du gouvernement, qui rend les peuples plus attachés à ce qu’ils doivent aimer. Ceux qui ont si indécemment attaqué cet ouvrage, lui doivent peut-être plus qu’ils ne s’imaginent. L’ingratitude au reste est le moindre reproche qu’on ait à leur faire. Ce n’est pas sans regret et sans honte pour notre siècle que nous allons les dévoiler : mais cette histoire importe trop à la gloire de M. de Montesquieu et à l’avantage de la philosophie, pour être passée sous silence. Puisse l’opprobre qui couvre enfin ses ennemis leur devenir salutaire !
D’Alembert (1717-1783), Analyse de l'Esprit des lois, 1755.
> Texte intégral sur Gallica : Paris, Ed. Pissot, 1758.