Unissez-vous donc, ô peuples !
Chapitre XCVIII, Conclusion de l'ouvrage
Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d’ignorance. Rejetez entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions. N’ajoutez aucune foi aux faux mystères, moquez-vous de tout ce que les prêtres intéressés vous disent. Car c’est là la cause funeste et véritable de tous vos maux… Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépend que de vous, car c’est de vous seuls que les tyrans obtiennent leur force et leur puissance. Unissez-vous donc, ô peuples ! Unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de vos misères communes. Commencez d’abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez partout le plus habilement possible des écrits semblables à celui-ci par exemple, rendez odieux partout le gouvernement tyrannique des princes et des prêtres. Secourez-vous dans une cause si juste et si nécessaire et où il s’agit de l’intérêt commun de tous les peuples… Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps, n’en donnez rien à tous ces superbes et inutiles fainéants, rien à tous ces moines et à ces ecclésiastiques qui vivent inutilement sur la terre, rien à ces orgueilleux tyrans qui vous méprisent… que vos enfants, vos parents, vos alliés quittent leur service, excommuniez-les de votre société. Ils ne peuvent pas se passer de vous, vous pouvez vous passer d’eux et n’ayez pas d’autre religion que de maintenir partout la justice et l’équité, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous. Après cela, qu’on en pense, qu’on en juge, qu’on en dise ce que l’on voudra, je ne m’embarrasse pas. Que les hommes s’accommodent et se gouvernent comme ils veulent, qu’ils soient sages ou qu’ils soient fous, qu’ils disent ou qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront après ma mort, je m’en soucie fort peu. Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde. Les morts avec lesquels je suis sur le point d’aller ne s’embarrassent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus que rien et bientôt je ne serai plus rien.
Jean Meslier, Testament, 1725.
> Texte intégral : Amsterdam, R. C. Meijer, 1864