Arlequin séduit grossièrement Lisette

Acte II, scène 3

Portrait de Thomassin

Lisette, Arlequin

ARLEQUIN. - Madame, il dit que je ne m'impatiente pas ; il en parle bien à son aise le bonhomme.
LISETTE. - J'ai de la peine à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, Monsieur, c'est par galanterie que vous faites l'impatient, à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien fort, ce n'est tout au plus qu'un amour naissant.
ARLEQUIN. - Vous vous trompez, prodige de nos jours, un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d'œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l'a rendu grand garçon ; tâchons de l'établir au plus vite, ayez soin de lui puisque vous êtes sa mère.
LISETTE. - Trouvez-vous qu'on le maltraite, est-il si abandonné ?
ARLEQUIN. - En attendant qu'il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche pour l'amuser un peu.
LISETTE. - Tenez donc petit importun, puisqu'on ne saurait avoir la paix qu'en vous amusant.
ARLEQUIN, lui baisant la main. - Cher joujou de mon âme ! Cela me réjouit comme du vin délicieux, quel dommage, de n'en avoir que roquille !
LISETTE. - Allons, arrêtez-vous, vous êtes trop avide.
ARLEQUIN. - Je ne demande qu'à me soutenir en attendant que je vive.
LISETTE. - Ne faut-il pas avoir de la raison ?
ARLEQUIN. - De la raison ! Hélas je l'ai perdue, vos beaux yeux sont les filous qui me l'ont volée.
LISETTE. - Mais est-il possible, que vous m'aimiez tant ? Je ne saurais me le persuader.
ARLEQUIN. - Je ne me soucie pas de ce qui est possible, moi ; mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste.
LISETTE. - Mon miroir ne servirait qu'à me rendre plus incrédule.
ARLEQUIN. - Ah ! Mignonne, adorable, votre humilité ne serait donc qu'une hypocrite !
LISETTE. - Quelqu'un vient à nous ; c'est votre valet.

 

Marivaux, Le Jeu de l'Amour et du Hasard, 1781.
> Texte intégral : Édition Touquet. Paris, Belin, 1821