La tête de Iaokanann
Hérodias, chapitre III, excipit
La lame aiguë de l’instrument, glissant du haut en bas, avait entamé la mâchoire. Une convulsion tirait les coins de la bouche. Du sang, caillé déjà, parsemait la barbe. Les paupières closes étaient blêmes comme des coquilles ; et les candélabres à l’entour envoyaient des rayons.
Elle arriva à la table des prêtres. Un Pharisien la retourna curieusement ; et Mannaëi, l’ayant remise d’aplomb, la posa devant Aulus, qui en fut réveillé. Par l’ouverture de leurs cils, les prunelles mortes et les prunelles éteintes semblaient se dire quelque chose.
Ensuite, Mannaëi la présenta à Antipas. Des pleurs coulèrent sur les joues du Tétrarque.
Les flambeaux s’éteignaient. Les convives partirent ; et il ne resta plus dans la salle qu’Antipas, les mains contre ses tempes, et regardant toujours la tête coupée, tandis que Phanuel, debout au milieu de la grande nef, murmurait des prières, les bras étendus.
À l’instant où se levait le soleil, deux hommes, expédiés autrefois par Iaokanann, survinrent, avec la réponse si longtemps espérée.
Ils la confièrent à Phanuel, qui en eut un ravissement.
Puis il leur montra l’objet lugubre, sur le plateau, entre les débris du festin. Un des hommes lui dit :
– Console-toi ! Il est descendu chez les morts annoncer le Christ !
L’Essénien comprenait maintenant ces paroles : « Pour qu’il croisse, il faut que je diminue. »
Et tous les trois, ayant pris la tête de Iaokanann, s’en allèrent du côté de la Galilée.
Comme elle était très lourde, ils la portaient alternativement.
Gustave Flaubert, Hérodias, chapitre III, excipit.
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1877