La désillusion
Chapitre VII
Des jours tristes commencèrent.
Ils n'étudiaient plus dans la peur de déceptions ; les habitants de Chavignolles s'écartaient d'eux ; les journaux tolérés n'apprenaient rien – et leur solitude était profonde, leur désœuvrement complet.
Quelquefois, ils ouvraient un livre, et le refermaient ; à quoi bon ? En d'autres jours, ils avaient l'idée de nettoyer le jardin, au bout d'un quart d'heure une fatigue les prenait ; ou de voir leur ferme, ils en revenaient écœurés ; ou de s'occuper de leur ménage, Germaine poussait des lamentations ; ils y renoncèrent.
Bouvard voulut dresser le catalogue du muséum, et déclara ces bibelots stupides. Pécuchet emprunta la canardière de Langlois pour tirer des alouettes ; l'arme éclatant du premier coup faillit le tuer.
Donc ils vivaient dans cet ennui de la campagne, si lourd quand le ciel blanc écrase de sa monotonie un cœur sans espoir. On écoute le pas d'un homme en sabots qui longe le mur, ou les gouttes de la pluie tomber du toit par terre. De temps à autre, une feuille morte vient frôler la vitre, puis tournoie, s'en va. Des glas indistincts sont apportés par le vent. Au fond de l'étable, une vache mugit.
Ils bâillaient l'un devant l'autre, consultaient le calendrier, regardaient la pendule, attendaient les repas ; – et l'horizon était toujours le même ! des champs en face, à droite l'église, à gauche un rideau de peupliers ; leurs cimes se balançaient dans la brume, perpétuellement, d'un air lamentable !
Des habitudes qu'ils avaient tolérées les faisaient souffrir. Pécuchet devenait incommode avec sa manie de poser sur la nappe son mouchoir. Bouvard ne quittait plus la pipe, et causait en se dandinant. Des contestations s'élevaient, à propos des plats ou de la qualité du beurre. Dans leur tête-à-tête ils pensaient à des choses différentes.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881.
> Texte intégral dans Gallica : Paris, A. Lemerre, 1881