La lettre d'adieu
Chapitre XXII
Une fois dans la rue, je brisai le cachet de cette lettre.
La foudre fût tombée à mes pieds que je n’eusse pas été plus épouvanté que je le fus par cette lecture.
« A l’heure où vous lirez cette lettre, Armand, je serai déjà la maîtresse d’un autre homme. Tout est donc fini entre nous.
Retournez auprès de votre père, mon ami, allez revoir votre sœur, jeune fille chaste, ignorante de toutes nos misères, et auprès de laquelle vous oublierez bien vite ce que vous aura fait souffrir cette fille perdue que l’on nomme Marguerite Gautier, que vous avez bien voulu aimer un instant, et qui vous doit les seuls moments heureux d’une vie qui, elle l’espère, ne sera pas longue maintenant. »
Quand j’eus lu le dernier mot, je crus que j’allais devenir fou.
Un moment j’eus réellement peur de tomber sur le pavé de la rue. Un nuage me passait sur les yeux et le sang me battait dans les tempes.
Enfin je me remis un peu, je regardai autour de moi, tout étonné de voir la vie des autres se continuer sans s’arrêter à mon malheur.
Je n’étais pas assez fort pour supporter seul le coup que Marguerite me portait.
Alors je me souvins que mon père était dans la même ville que moi, que dans dix minutes je pourrais être auprès de lui, et que, quelle que fût la cause de ma douleur, il la partagerait.
Je courus comme un fou, comme un voleur, jusqu’à l’hôtel de Paris : je trouvai la clef sur la porte de l’appartement de mon père. J’entrai.
Il lisait.
Au peu d’étonnement qu’il montra en me voyant paraître, on eût dit qu’il m’attendait.
Je me précipitai dans ses bras sans lui dire un mot, je lui donnai la lettre de Marguerite, et me laissant tomber devant son lit, je pleurai à chaudes larmes.