Amanzei le sopha désire Zeïnis
Chapitre XX
Il sembla dans cet instant que Brama voulut exaucer mes vœux. Le Soleil était alors à son plus haut point, il faisait une chaleur excessive ; Zéïnis se prépara bientôt à jouir des douceurs du sommeil, et tirant elle-même les rideaux, ne laissa dans le Cabinet que ce demi-jour si favorable au sommeil, et aux plaisirs, qui ne dérobe rien aux regards et ajoute à leur volupté, qui rend enfin la pudeur moins timide, et lui laisse accorder plus à l'amour.
Une simple tunique de gaze, et presque toute ouverte, fut bientôt le seul habillement de Zeïnis ; elle se jeta sur moi nonchalamment. Dieux ! avec quels transports je la reçue ! Brama, en fixant mon âme dans des sophas lui avait donné la liberté de s'y placer où elle le voudrait ; qu'avec plaisir en cet instant j'en fis usage ! [… ]
Je m'occupai alors à détailler tous les charmes qu'il me restait encore à examiner, et à revenir sur ceux que j'avais déjà parcourus. Quoique Zéïnis dormait assez tranquillement, elle se le retourna quelquefois, et chaque mouvement qu'elle faisait, dérangeant sa tunique, offrait à mes avides regards de nouvelles beautés. Tant d'appas achevèrent de troubler mon âme. [...]
[La jeune femme] fit un mouvement, et se retourna. La situation où elle venait de se mettre, m'était favorable et malgré mon trouble, je songeai à en profiter. Zéinis était couchée sur le côté, sa tête était penchée sur un coussin du sopha, et sa bouche le touchait presque. Je pouvais, malgré la rigueur de Brama accorder quelque chose à la violence de mes désirs ; mon âme alla se placer sur le coussin, et si près de la bouche de Zéïnis qu'elle parvint enfin à s'y coller toute entière. […]
Elle essaya, mais vainement à se glisser toute entière dans Zéïnis ; retenue dans sa prison par les ordres cruels de Brama, tous ses efforts ne purent l'en délivrer. Ses élans redoublés, son ardeur, la fureur de ses désirs, échauffèrent apparemment celle de Zéïnis. Mon âme ne s'aperçût pas plutôt de l'impression qu'elle faisait sur la sienne qu'elle redoubla ses efforts. Elle errait avec plus de vivacité sur les lèvres de Zéïnis, s'élançait avec plus de rapidité, s'y attachait avec plus de feu. Le désordre qui commençait à s'emparer de celle de Zéïnis, augmenta le trouble et les plaisirs de la mienne. Zeïnis soupira, je soupirai ; sa bouche forma quelques paroles mal articulées, une aimable rougeur vint colorer son visage. Le songe le plus flatteur vint enfin égarer les sens. De doux mouvements succédèrent au calme dans lequel elle était plongée […]
Moins libre encore que Zéïnis, je l'entendais avec transport et n'avais plus la force de lui répondre. Bientôt son âme aussi confondue que la mienne, s'abandonna toute au feu dont elle était dévorée, un doux frémissement... Ciel ! Que Zéïnis devint belle !
Crébillon fils, Le Sofa, 1742.
> Texte intégral : Paris, Les principaux libraires, 1831