Envie du suicide, dégout de la vie
Champavert, le lycanthrope. Chapitre I : Testament
J'aurais tant de plaisir à périr avec elle, elle en est bien digne ! Mais, cependant, je ne le veux pas, je ne le ferai pas ; le monde est si stupide, il dirait que nous nous sommes… que je me suis frappé par amour. Non, non, je ne le veux pas ; le monde est si stupide, il ne peut croire que la vie soit un fardeau dont le robuste se décharge ; il ne peut croire à la soif de l’anéantissement, ni qu'on répugner l'existence ; il faut qu'il matérialise tout, cause et effet, une idée pour lui n'a rien de palpable, il faut qu'il jauge et cube tout, jusqu'à son Dieu ! Quand il apprend la fin d'un suicide, de suite il veut trouver des causes bien rustiques, bien voyantes, vite, c'est pour une femme, une passion, une perte au jeu, une honte domestique, une aliénation mentale. Non, non, je ne l'avertirai pas, je mourrai seul, je ne veux pas qu’on dise ils se sont tués, Flava, Champavert, par amour, pour une intrigue malheureuse, contrariée, poussés au Désespoir ; ce n'est point par désespoir, je n'ai jamais espéré. Non, non, je ne le veux pas !
Que je suis fou, hélas! que je suis fou ! ne pas vouloir que ce monde sur lequel je crache, que je méprise, que je repousse du pied, m'accuse de périr par amour ; faiblesse ! Eh quand je serai anéanti, que me feront les grossières conjectures des hommes ? leurs bavarderies ne troubleront pas mon fumier. Mais non, c'est plus puissant que moi, je ne puis surmonter cette imbécilité ; faible que je suis, je souffrirais de cette pensée jusqu'à l'heure sonnée.
Petrus Borel, Champavert : contes immoraux, 1833.
> Texte intégral dans Gallica : Renduel, Paris, 1833