Le temple d’Isis à Naples Gérard de Nerval
Avant l'établissement du chemin de fer de Naples à Résina, une course à Pompéi était tout un voyage. Il fallait une journée pour visiter successivement Herculanum, le Vésuve, et Pompéi, situé à deux milles plus loin; souvent même on restait sur les lieux jusqu'au lendemain, afin de parcourir Pompéi pendant la nuit, à la clarté de la lune, et de se faire ainsi une illusion complète. Chacun pouvait supposer en effet que, remontant le cours des siècles, il se voyait tout à coup admis à parcourir les rues et les places de la ville endormie ; la lune paisible convenait mieux peut-être que l'éclat du soleil à ces ruines, qui n'excitent tout d'abord ni l'admiration ni la surprise, et où l'antiquité se montre pour ainsi dire dans un déshabillé modeste.
Un des Ambassadeurs résidant à Naples, donna, il y a quelques années une fête assez ingénieuse. ─ Muni de toutes les autorisations nécessaires, il fit costumer à l’antique un grand nombre de personnes ; les invités se conformèrent à cette disposition et, pendant un jour et une nuit, l’on essaya diverses représentations des usages de l’antique colonie romaine. On comprend que la science avait dirigé la plupart des détails de la fête ; des chars parcourraient les rues, des marchands peuplaient les boutiques ; des collations réunissaient, à certaines heures, dans les principales maisons, les diverses compagnies des invités. Là, c’était l’édile Pansa, là Salluste, là Julia Félix, l’opulente fille de Scaurus qui recevaient les convives et les admettaient à leurs foyers.─ La maison des Vestales avait ses habitantes voilées ; celle des Danseuses ne mentait pas aux promesses de ses gracieux attributs. Les deux théâtres offrirent des représentations comiques et tragiques et, sous les colonnades du Forum des citoyens oisifs échangeaient les nouvelles du jour, tandis que, dans la basilique ouverte sur la place, on entendait retentir l’aigre voix des avocats ou les imprécations des plaideurs. ─ Des toiles et des tentures complétaient dans tous les lieux où de tels spectacles étaient offerts, l’effet de décoration que le manque de toitures aurait pu contrarier ; mais on sait qu’à part ce détail, la conservation des édifices est assez complète pour qu’on ait pu prendre grand plaisir à cette tentative palingénésique. ─ Un des spectacles les plus curieux fut la cérémonie qui s’exécuta au coucher du soleil dans cet admirable petit temple d’Isis, qui, par sa parfaite conservation, est peut-être la plus intéressante de ces ruines.
Gérard de Nerval (1808-1855), Les filles du feu, « Isis », 1854
> texte intégral dans Gallica : Paris, Michel Lévy frères, 1856