Fiorenza. VII. Ave FiorenzaAndré Suarès
Sur le tard du plus long jour de mai, quand les heures nocturnes sont bleues, brodées de vieil argent, entrer à vingt ans pour la première fois à Florence, et se dire à chaque pas, avec un bond du cœur au-devant de l’esprit : « Florence, je suis à Florence ! » voilà de ces fêtes qu’on ne retrouve plus, et qu’on cherche à se rendre, toujours plus avidement, au cours de la vie. Qu’est-ce que vivre, sinon cette allégresse spirituelle, cet amour, et les harmonies passionnées de quelque sublime détresse ? J’arrivai dans la ville de la fleur au milieu de la plus courte nuit. Je venais de Prato, dans la voiture d’un maraîcher qui me laissa sur le quai, au pont de la Trinité. Et je m’égarai bientôt. Porté par tant de rêves, corymbes épanouis d’autant de désirs, depuis l’enfance où mon premier précepteur, le bon Lucchini, m’apprit à lire le latin dans Virgile et l’italien dans la Divine Comédie, je pénétrai avec délices, comme un amant à son premier amour, dans les ruelles qui s’enlaçaient alors entre le Lung’Arno Acciajoli et le Borgo Santi Apostoli. Je marchais pieusement sur la pointe des pieds, je volais plutôt.
André Suarès (1868-1948), Le voyage du condottiere, 1893-1928