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Quelle heure est-il ? Ou comment obtenir une heure unifiée et exacte.

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30 mars 2021

Alors que nos réveils, montres, téléphones ou ordinateurs viennent de passer plus ou moins automatiquement à l'heure d’été, Gallica revient sur un problème devenu crucial au XIXe siècle avec l’essor des transports, l’unification de l’heure et la synchronisation des horloges. Plusieurs moyens et techniques tentent de répondre à ce besoin : chute d’une time-ball, électricité, air comprimé ou encore l’horloge parlante.

L'heure d'Eté : central horaire de la gare Saint Lazare, avance de l'heure, 1937

De nombreux outils comme les cadrans solaires ont été conçus pour mesurer le temps et indiquer l’heure solaire. Le clocher scande l’heure et la définit comme référence dans les villages jusqu’au début du XXe siècle. L’horloge mécanique fait son apparition au XIIe siècle dans les villes. Le territoire couvert par cette heure homogène reste cependant limité. De plus, la durée d’une heure varie entre le jour et la nuit, entre l’été et l’hiver afin de suivre le temps solaire. Pour remédier à ces variations, les horloges peuvent escamoter une heure au coucher du soleil. La ville de Genève est la première à décider de faire d’une heure une mesure fixe en 1780, suivie par Londres en 1792.

Antoine-Louis Goblain, Tour de l'horloge, Auxerre. 18..

En France, la Convention nationale tente une première unification du temps en lançant un appel aux inventeurs. L’horloger Robert Robin présente en 1793 son projet de pendule astronomique décimale à seconde, à remontoir et à sonnerie décimale qui, en proposant une division décimale, a pour ambition d’être précise et régulière dans son mécanisme, grâce à un régulateur. Un système de sonnerie marque le temps toutes les dix minutes. Mais il faut finalement attendre 1816, selon Jean Mascart, pour que Paris adopte une heure fixe abandonnant le temps solaire.

Le train est à l’heure

C‘est l’essor du chemin de fer qui va rendre indispensable le besoin d’heure unique harmonisée sur tout le territoire. Le chemin de fer s’accompagne en effet d’horaires valables sur tout le réseau, ce qui nécessite donc à la fois l’unification des heures définies encore localement, la synchronisation des horloges, et la définition d’une heure exacte. L’horaire des chemins de fer prend pour référence l’heure de Paris qui ne correspond pas forcément aux heures des communes traversées.

Indicateur officiel des environs de Paris : services des chemins de fer, bateaux à vapeur, voitures et omnibus, Chaix, 1858 Dans son ouvrage, Histoire de l’heure, publié en 1889, Jean-Charles Houzeau indique :

Dans un temps peu éloigné, il y avait encore des heures de diverses grandeurs. Il y avait des heures différentes pour l’été et pour l’hiver, des heures différentes pour le jour et pour la nuit et l’inégalité atteignait parfois une grandeur considérable. Nos principales lignes de chemin de fer existaient déjà que beaucoup de nos villes avaient encore des heures qui n’étaient pas tout à fait égales entre elles d’un jour au jour suivant.

Diffuser l’heure exacte

Une fois établie une heure exacte, encore faut-il la diffuser. En France, le canon du Palais Royal donne depuis 1715 l’heure aux Parisiens, comme le rappelle Albert Levy en 1883 dans Les nouveautés de la science :

Tous les jours, à midi (quand il fait beau, bien entendu), les rayons du soleil reçus sur une lentille convenablement inclinée, enflamme une charge de poudre placée au foyer de la lentille. Autour de cette horloge d’un nouveau genre, les Parisiens une montre à la main attendent le signal de midi. 

Le canon du Palais-Royal, Le Journal de la jeunesse : nouveau recueil hebdomadaire illustré, 1879

Puis des horloges sont installées sur la voie publique, dans les administrations et entreprises, et elles se multiplient au milieu du XIXe siècle comme les horloges Schwilgué.
Mais, déplore Albert Levy, "Malheureusement ces horloges sont rarement d’accord entre elles, les sonneries se font entendre successivement comme si chacune attendait que la précédente fût rentrée dans le silence. Et l’heure de midi s’entend parfois durant plusieurs minutes ".

Recueil. Éclairage public parisien, 1900

En Angleterre, en 1833, c’est une time-ball ou boule de grand diamètre qui, en tombant à midi d’un point très haut, signale l’heure dans les environs de l’Observatoire de Greenwich. Des systèmes similaires sont installés dans de nombreuses villes. A New York, dans les années 1870  une boule chute de 8 mètres tous les matins à 9h depuis la tour de l’Hôtel des télégraphes. L’indication de l’heure exacte est fournie par liaison télégraphique avec l’Observatoire de Washington. Un mouchoir agité permet d'attirer l'attention sur la chute imminente afin que tous soient prêts à régler leur montre. La classe est même interrompue dans les écoles de New-York et aux alentours, indique le Petit Parisien en 1896, pour que les élèves puissent assister à la chute de la time ball.

La time ball de New-York, le Magasin pittoresque, novembre 1880

Synchronisations électriques

Reste le problème d’ampleur qui préoccupe le dernier tiers du XIXe siècle : la synchronisation de toutes les horloges publiques sur une horloge de référence.
 En 1840, en Angleterre, on expérimente  le premier réseau de distribution de l’heure par télégraphe. Dès 1852, Bruxelles, comme le rappelle Le Génie civil, s’est dotée d’un réseau électrique de 220 horloges, dont 170 sur la voie publique, réglées et mises à l’heure simultanément. A Paris, le directeur de l’Observatoire, Urbain Le Verrier (1811-1877) propose dès 1867 la synchronisation de différentes horloges parisiennes, plan qui se concrétise finalement en 1880 . L'horloge de référence est celle de l'Observatoire dont les battements sont synchronisés avec des centres secondaires grâce à l'électricité. Les horloges de plusieurs mairies, de la Sorbonne ou du Conservatoire des arts et métiers sont ainsi synchronisées avec celle de l’Observatoire.

Armand-François Collin, L'Unification de l'heure à Paris et dans toute la France, 1880

A Roubaix et à Paris, les horloges électriques fonctionnent pour partie suivant la technique de l’horloger Armand-François Collin (1822-1895).
Ce n’est cependant pas l’exactitude qui est visée, le temps de la traduction du signal électrique en mouvement mécanique de l’aiguille dépassant la seconde.

L’air comprimé et l’heure précise

L’air comprimé constitue une solution face aux aléas des premiers temps de l’électricité. Victor Popp est à l’origine du réseau pneumatique fournissant une énergie régulière pour les horloges. Il a déjà mis en place 4500 mètres de canalisations à Vienne, comme le rappelle le Panthéon de l’Industrie en 1880. Il fonde en 1879 la Société des horloges pneumatiques, renommée Compagnie parisienne de l'air comprimé en 1927 puis Société urbaine de distribution d’air comprimé (SUDAC). Elle obtient en 1881 une concession de 50 ans avec la ville de Paris pour "établir ou conserver sous la voies publiques des tuyaux pour la conduite d’air comprimé". L’usine de l'entreprise, située Saint Fargeau à Paris, dispose d’une horloge mécanique sur laquelle sont effectués les réglages, comme l’explique Henri de Graffigny dans le Manuel de l'horloger et du mécanicien amateur. Le cadran de cette horloge actionne une tige qui conduit à l’envoi d’air comprimé par pulsations dans les conduites. Le réseau pneumatique se développe en empruntant les conduites des égouts. La société indique en 1888 qu'elle dispose, pour les horloges pneumatiques, de 65 kilomètres de canalisations et fournit de l'air comprimé pour 7800 pendules et 95 cadrans de la ville. Cependant, l’utilisation du réseau décline progressivement au début du XXe siècle.

Réseau des canalisations maîtresses d'air comprimé. Compagnie parisienne de l'air comprimé, 1903

L’horloge parlante : un service téléphonique de l’Observatoire

Une des missions de l’Observatoire de Paris, fondé en 1666, est de donner l’heure exacte. Dès 1877, une horloge est visible à la porte de l’établissement. En 1891, l’heure de Paris, calculée par l’Observatoire, devient l’heure légale et est diffusée grâce au télégraphe.
En 1933, c’est un nouveau service, téléphonique, que met en place Ernest Esclangon (1876-1954), le directeur de l’Observatoire : l’horloge parlante. Le principe en est détaillé par le Bulletin d'informations du Ministère des Postes, télégraphes et téléphones. Un enregistrement, réalisé sur le modèle des films parlants, annonce toutes les dix secondes l’heure à venir sous la forme heure /minutes/secondes suivie d’un top musical qui correspond à l’heure exacte. Trente abonnés peuvent alors etre simulténément raccordés à l'horloge parlante.

L'horloge parlante de l'Observatoire de Paris avec le directeur M. Ernest Esclangon. 1933

Depuis, de très nombreux perfectionnement techniques, à la fois dans la transmission de l’information (satellite) et dans les mécanismes plus autonomes (piles évitant de remonter les montres) sont intervenus pour donner l’heure et assurer presque automatiquement le passage rituel à l’heure d’été.

Exposition féline : l'avance de l'heure par minet. 1932

Pour en savoir plus :

Côme Souchier, « Science et techniques au service du public. La synchronisation des horloges parisiennes au XIXe siècle », Politix, 2019/1 (n° 125), p. 219-237. En ligne sur Cairn
Jacques Gapaillard, Histoire de l’heure en France, Paris, Vuibert-ADAPT/SNES, 2011.
Lucien Baillaud, « Les chemins de fer et l’heure légale », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 35 | 2006, mis en ligne le 05 avril 2011, consulté le 29 mars 2021.

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