Proust et la presse, présentation des collections dans Gallica
La numérisation de la presse et du fonds Proust conservé au département des Manuscrits permet maintenant d’explorer ce thème de manière approfondie. Nous vous présentons ici quelques pistes de recherche qui mettent en valeur l’importance de la presse dans l’œuvre de l’écrivain.
Guillaume Fau, chef du service des Manuscrits modernes et contemporains au département des Manuscrits, a écrit dans le numéro spécial Proust de la revue Genesis un article sur la constitution du fonds et sa numérisation. Ce fonds est inventorié dans Archives et manuscrits : œuvres diverses et À la recherche du temps perdu. L’équipe Proust de l’ITEM (Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS) propose un portail raisonné qui permet d’accéder directement aux documents dans Gallica.
Les manuscrits et les premières épreuves de la Recherche : l’incipit et le journal
L’exemple le plus frappant dans les manuscrits du fonds Proust est la présence du journal dans l’incipit du premier volume Du côté de chez Swann. Proust remplacera ce « journal » par un « livre », au dernier moment dans les placards corrigés de l’édition Grasset de 1913. Nathalie Mauriac Dyer, spécialiste des manuscrits de Proust, a mis en évidence cette substitution et son importance. Elle nous l’expliquera plus en détail pendant l’après-midi consacrée à Proust et la presse, à la BnF, le 10 février 2018.
Ce début avait été complètement réécrit par Proust dans la première dactylographie sous la forme de feuillets manuscrits, puis dactylographié dans la version suivante (plus difficile à lire).
Le texte définitif n’apparaît que dans les deuxièmes épreuves corrigées et les bonnes feuilles de l’édition Grasset,
avec une dédicace à Gaston Calmette, directeur du Figaro depuis 1902 (et assassiné par Henriette Caillaux le 17 mars 1914) :
C’est dire si la presse est présente au début de la Recherche et peut-être encore plus dans ses états manuscrits. Outre l’incipit, plusieurs ébauches mettent en scène Le Figaro, notamment trois fragments dans le Cahier 3. Dans le premier fragment, Proust écrit : « Je pensais à un article que j’avais envoyé il y avait longtemps déjà au Figaro, j’avais même corrigé les épreuves, depuis j’avais espéré chaque matin le trouver dans le journal, puis j’avais cessé de l’espérer. Et je me demandais si cela vaudrait la peine d’en faire d’autres ». [Pléiade, p. 634].
Il reprend et développe la même idée dans le deuxième fragment [Pléiade, p. 635] qui se prolonge avec l’arrivée de sa mère : « Bientôt Maman entra, déposa près de moi d’un air de distraction complète Le Figaro mais très près de moi pour que je ne puisse pas ne pas le voir et elle disparut si vite, repoussant avec une vivacité qui la surprit la vieille bonne qui voulait entrer, que je compris immédiatement que l’article avait paru et que Maman avait voulu m’en laisser la surprise et que personne ne vînt troubler ma joie ou m’obliger à la dissimuler par respect humain ». Le troisième fragment [Pléiade, p. 636-7] amplifie encore la scène, avec sa mère qui sort après avoir déposé Le Figaro « comme un anarchiste qui a posé une bombe ». Proust prend même une note rapide sur la couverture du Cahier 2 à propos du Figaro.
On trouve encore deux variantes du premier incipit dans le Cahier 5 : « Aussi quand je m’éveillais, je ne savais pas que je m’éveillais, instinctivement je cherchais le journal que je me croyais en train de lire pour le jeter et éteindre la lampe afin de m’endormir » [Pléiade, p. 642] et le Cahier 8 [Pléiade, p. 653] « Et une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais jeter le journal que je croyais avoir encore en mains et éteindre ma lampe […] »
La presse dans la Recherche
Le texte final de la Recherche est truffé de références à la presse. Et, en premier lieu, au Figaro : on y retrouve la mention de la publication du texte du narrateur, mais aussi de celle de Swann ou encore de Bergotte. Le Figaro n’est pourtant pas le seul journal à apparaître dans la Recherche. Le journal y est en réalité présent sous toutes ses formes : des gazettes italiennes, des faits divers ou encore des nouvelles artistiques. Mais avant tout, le roman fait apparaître le journal dans ses usages quotidiens de l’époque. On y voit la langue du journal faire irruption dans le discours des personnages ; mais aussi et surtout la particularité de l’écriture de presse. Dans la Recherche, Proust souligne souvent la crédulité du lecteur de presse, prompt à accepter tout ce que déclare le quotidien d’information. Le monde est regardé par la lorgnette du journal.
J’étais cependant effrayé de la rapidité avec laquelle le théâtre de ces victoires se rapprochait de Paris, et je fus même étonné que le maître d’hôtel ayant vu dans un communiqué qu’une action avait eu lieu près de Lens, n’eût pas été inquiet en voyant dans le journal du lendemain que ses suites avaient tourné à notre avantage à Jouy-le-Vicomte, dont nous tenions solidement les abords. Le maître d’hôtel savait, connaissait pourtant bien le nom, Jouy-le-Vicomte, qui n’était pas tellement éloigné de Combray. Mais on lit les journaux comme on aime, un bandeau sur les yeux. On ne cherche pas à comprendre les faits. On écoute les douces paroles du rédacteur en chef, comme on écoute les paroles de sa maîtresse. On est battu et content parce qu’on ne se croit pas battu, mais vainqueur.
Les manuscrits des articles de Proust
Le fonds numérisé contient également des articles de presse écrits par Proust : le manuscrit de Chroniques et les placards corrigés par Robert Proust ; un manuscrit fragmentaire de Contre Saint-Beuve. Un manuscrit et les épreuves corrigées de Pastiches et mélanges, composées d’articles découpés dans Le Figaro avec additions et corrections. Et enfin le manuscrit des Plaisirs et les Jours, avec une dactylographie et ses épreuves.
Trouver les articles de Proust dans la presse
Enfin, si vous connaissez le titre et la date de publication d’un article de Proust, vous pouvez le trouver dans Gallica, si le journal a été numérisé. Passez par « Sélection Presse et revues », choisissez un quotidien et sélectionnez une date dans le calendrier. Par exemple dans L’Intransigeant, le 21 septembre 1910, « Le Prince des cravates ». Comme il n’est pas évident de connaître les dates, vous pouvez utiliser le site de Yuri Cerqueira dos Anjos qui a recensé ces articles dans l’onglet corpus, écrits de presse avec des liens vers Gallica.
Pour continuer l’exploration, restent tous les articles publiés dans la presse sur Proust et son œuvre, par exemple au moment du prix Goncourt (Les Annales politiques et littéraires, Le Journal) ou de sa mort (Le Petit Parisien, Le Figaro littéraire).
Références :
Nathalie Mauriac Dyer :
« Du nouveau sur l’incipit d’À la recherche du temps perdu », Genesis, 2006, n°27, p. 141-157 (en collaboration avec Luzius Keller)
« Comment je me suis couché de bonne heure ». Magazine littéraire, n°535, septembre 2013, p.54-55
« Proust deux mille treize », Genesis, n°36, 2013
Après chaque variante manuscrite, nous renvoyons aux pages de leurs transcriptions dans À la recherche du temps perdu, Pléiade, tome I, 1999.
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