40 ouvrages pour découvrir la littérature et la culture américaines
"Nos compatriotes viennent y chercher de l’or ; ils ne s’imaginent pas que nous y avons trouvé des trésors bien plus estimables." Ainsi s’exprime Des Grieux dans Manon Lescaut, résumant bien la fascination qu’exercent les États-Unis sur le monde. Voici notre sélection de 40 ouvrages pour découvrir la littérature et la culture américaines.
The Pioneers, Karl Bodmer, 1852
Un esprit pionnier
Des colonies à l’édification d’une nation
Sur Gallica, plusieurs documents sont consacrés à la formation des États-Unis d’Amérique en tant que nation indépendante, constituée de colonies ayant conquis leur indépendance.
Penchons-nous d’abord sur la réalité vécue par les colons. Dans Lettres d’un cultivateur américain de l’année 1770 jusqu’en 1786, le colon américain d’origine française St John de Crèvecœur apporte un témoignage, probablement quelque peu idéalisé, de la naissance du Nouveau Monde, et de la réalité vécue par les colons. Ce recueil de lettres contient des anecdotes sur les prémices des premières colonies d’Amérique. St John de Crèvecœur y rappelle les fondements de cette émigration : ceux qui ont peuplé ces différents états,
longtemps victimes des calamités produises par le fanatisme, la tyrannie, l’oppression féodale, & par les guerres qui ensanglantèrent l’Europe pendant plus de la moitié du seizième siècle, […] apprirent qu’un nouveau Continent venait d’être découvert ; […] ils abjurèrent la plupart des anciennes opinions et des préjugés funestes […] éclairés d’une lumière nouvelle par leur émigration.
Si l’on souhaite se placer du côté des économistes et hommes politiques, on peut consulter Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4). L’économiste anglais Adam Smith y rappelle qu’une démographie galopante a contribué à l’édification des États-Unis ; "et quoique l’Amérique septentrionale n’ait pas la richesse de l’Angleterre, elle marche vers l’opulence avec plus de rapidité". L’ouvrage est écrit en 1776, l’année même de la Déclaration d’Indépendance américaine. En comparant les économies et systèmes politiques de plusieurs pays, Adam Smith y expose les raisons pour lesquelles les États-Unis ont tous les atouts pour atteindre l’indépendance économique :
C’est principalement pour avoir placé jusqu’à présent tous leurs capitaux dans l’industrie agricole que nos colonies d’Amérique ont fait des progrès si rapides vers la richesse et l’opulence.
Cette lecture pourra être accompagnée de la lecture du Sens commun de Thomas Paine, dans lequel le pamphlétaire et révolutionnaire prend vivement fait et cause pour l’indépendance américaine :
mais il est vraiment absurde de vouloir qu’un continent soit à jamais gouverné par une île. La nature n’a point fait une planète moins grande que ses satellites ; et, comme l’Angleterre et l’Amérique contredisent cet ordre de la nature, il est évident qu’elles appartiennent à deux systèmes politiques différents : l’Angleterre, à l’Europe ; l’Amérique, à elle-même.
Dans ses Mémoires complets, œuvres morales et littéraires Benjamin Franklin, co-signataire de la Déclaration d’Indépendance et père fondateur de la nation, incarnant les idées des Lumières, rappelle quelques vérités à ceux qui souhaiteraient émigrer en Amérique. Les privilèges de castes n’y ont cours, seuls les aptitudes et le travail comptent. On y devine, entre les lignes, les valeurs fondatrices du rêve américain.
Si l’on souhaite prendre du recul sur les écrits de ces témoins, acteurs et fondateurs, on pourra lire Les États-Unis : leur origine, leur développement, leur unité de Nicholas Murray Butler. Cet ouvrage d’histoire politique très précieux relate la construction de la nation, et le rôle que jouèrent Adams et Franklin, ou Hamilton et Madison dans son édification. On y découvre aussi le texte, traduit en français, de la Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776, celui de la Constitution, la liste des états dans l’ordre chronologique de leur admission, celle des présidents ou le discours de Lincoln à Gettysburg, le 19 novembre 1863, appelant au rassemblement de la Nation, après la bataille de Gettysburg. Thèse universitaire au titre trompeur, Les Derniers Jugements des écrivains français sur la civilisation américaine est un parfait complément à cette lecture, car elle offre une analyse très complète de la civilisation américaine, en 1931.
Des œuvres littéraires d’auteurs américains dépeignent l’Amérique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Le Dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper narre les affrontements entre Anglais et Français, aux côtés de différentes tribus indiennes, pour le contrôle du territoire sur les peuples autochtones. Si Évangéline, conte d’Acadie d’Henry Wadsworth Longfellow se penche sur le traumatisme du Grand Dérangement, il voit son action se dérouler en grande partie dans la Philadelphie du XVIIIe siècle.
Conquête d’un territoire et appropriation de l’espace
Que seraient devenus les États-Unis sans cet esprit pionnier ayant conduit les colons vers l’ouest, à la découverte de nouveaux territoires ? Pour comprendre les motivations et aventures des cow-boys et pionniers, mais aussi leur confrontation avec les peuples autochtones, on pourra lire La Conquête de l’Ouest, des Alléghanys au Mississipi, 1769-1777 de Théodore Roosevelt (1858-1919) ainsi que L’Ouest sauvage écrits américains, description illustrée et aperçus de faits historiques... de Buffalo Bill (1846-1917). Dans ce dernier livre, William Frederick Cody dit Buffalo Bill présente différents personnages et symboles de la conquête de l’Ouest : le cow-boy, gardien et conducteur d’un troupeau de bovins, l’arc et les flèches des Indiens, la carabine, le Peau-Rouge et sa religion.
La littérature explore elle aussi ce rapport au territoire. La curiosité et l’esprit de conquête se retrouvent dans Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe. L’adversité face à une nature âpre qu’il faut dompter est au cœur de Sous la neige (Ethan Frome) d’Edith Wharton, mais aussi de L’Appel de la forêt, et surtout de Croc-Blanc. Jack London y décrit ce qu’il appelle le Wild, qui "congèle l’eau, […] glace la sève sous l’écorce".
Théâtre de la célébration et du recueillement, écrin de l’immensité, la nature est également célébrée dans Walden, ou La vie dans les bois de Henry David Thoreau et dans Feuilles d’herbe de Walt Whitman. Hommage à l’Amérique des pionniers, ce dernier recueil constitue une excellente initiation au mythe des grands espaces.
De l’esclave au self made man, naissance d’une identité américaine
Au cours du XIXe siècle, une littérature nationale émerge, et celle-ci dépasse les thèmes de la nationalité et de l’identité américaines. La littérature laisse place à des héros qui s’inscrivent dans des trajectoires plus individuelles et à des récits plus singuliers, qui interrogent la société américaine.
Les nouvelles d’Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires, Nouvelles Histoires extraordinaires et Histoires grotesques et sérieuses) témoignent de ce renouveau. Ces courts récits dont les intrigues ont un décor plus restreint, urbain, relèvent du registre fantastique, déploient une atmosphère bien souvent gothique et interrogent la véracité du discours. Les Contes étranges et La Maison aux sept pignons de Nathaniel Hawthorne suivent également cette tendance. L’atmosphère gothique est ici le moyen d’exprimer une culpabilité : celle de vouloir se défaire du passé pour écrire sa propre histoire, tout en n’y arrivant pas. Enfin, Le Livre d’esquisses de Washington Irving, et notamment la nouvelle "La Légende du vallon endormi", s’ancrent dans une atmosphère macabre inspirée des récits de la vieille Europe. Ces voix américaines se cherchent tout en convoquant d’autres sources et influences que celles des récits américains primitifs.
Écrit dans un style oralisé, tout sauf réservé aux enfants, Les Aventures de Tom Sawyer témoigne d’une analyse poussée du Sud des États-Unis, et suggère les fractures d’une nation pas si unie. Les divisions d’une nation, c’est bien ce que Harriet Beecher Stowe explore dans La Case de l’oncle Tom, roman qui connut un retentissement considérable et contribua fortement à l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. L’œuvre chorale met en scène des esclaves et leurs maîtres, qui connaissent des trajectoires des plus variées.
Si l’on souhaite découvrir un autre visage de l’Amérique, plusieurs récits abordent la figure du self-made-man. L’Américain, d’Henry James (Tome 1 et Tome 2), a pour héros Christopher Newman, un autodidacte devenu immensément riche en ayant réussi dans les affaires. Dans Ma vie, mon œuvre, Henry Ford évoque sa conception des affaires, son analyse de l’économie et de ce qu’on appellera plus tard "le fordisme". Si l’on s’intéresse à la figure du gangster et à la Prohibition, on pourra lire Ma vie, les mémoires du gangster Al Capone. Tout en ironie et complaisance, ce récit autobiographique, très agréable à lire, nous aide à prendre la mesure du personnage flamboyant qu’était Al Capone.
Enfin, cette découverte des œuvres littéraires peut être accompagnée de la lecture d’essais comme L’Ame américaine à travers quelques-uns de ses interprètes de Jean Richepin, Panorama de la littérature américaine contemporaine de Régis Michaud, ou La Littérature américaine de William Trent. Figures américaines : dix-huit études sur des écrivains de ce temps d’André Lévinson constitue une introduction à plusieurs auteurs et notions tels que Eugene O'Neill ou Sinclair Lewis pour ne citer qu’eux.
L’on sait le rôle qu’a joué la France dans l’indépendance et la formation des États-Unis, et l’on se souviendra que la France y avait des colonies. Quel regard les Français, qu’ils soient intellectuels, artistes ou écrivains, ont-ils porté sur ce pays ?
Regard des Français sur l’Amérique
L’indépendance américaine ou la naissance d’une nation
En 1534, Jacques Cartier découvre le Canada, et en 1608, Samuel de Champlain (1574-1635) fonde la ville de Québec. Des Français s’installent en Nouvelle-France, d’autres s’aventurent dans la région des Grands Lacs, le long de la vallée du Mississippi et colonisent la Louisiane. Diplomate et homme politique sous le premier Empire, François Barbé de Marbois a relaté l’histoire de cette colonie française dans Histoire de la Louisiane et de la cession de cette colonie par la France aux États-Unis de l'Amérique septentrionale.
Dans Les Français en Amérique pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis : 1777-1783 Thomas Balch, historien américain, explique la relation franco-américaine et les raisons pour lesquelles les Français soutinrent les Américains dans leur lutte pour l’indépendance
Les Mémoires, correspondances et manuscrits du général La Fayette, publiés par sa famille (Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5, Tome 6) apportent un éclairage précis sur les circonstances dans lesquelles le général quitta la France pour prendre part à cette révolution. L’ouvrage comporte de nombreuses lettres de La Fayette et dans une missive du 20 juin 1801 adressée à Thomas Jefferson, alors président des États-Unis, on mesure la force de la relation diplomatique entre la France et l’Amérique :
Je vois que l’exemple d’un gouvernement fondé sur les principes de la liberté, et soutenu par eux, n’a jamais été si nécessaire pour réformer les idées qui dominent dans ce moment. Vous pourriez à peine comprendre à quel point elles sont changées en France.
Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville (Tome 1 et Tome 2) apporte un autre éclairage sur la société et la politique américaines. L’ouvrage est publié en 1835, près de soixante ans après l’indépendance des États-Unis. Visionnaire, intuitif, Tocqueville y aborde les dissensions entre Nord et Sud à propos de l’esclavage, ou le poids de la religion, car l’on y voit "l’un des peuples les plus libres et les plus éclairés du monde remplir avec ardeur tous les devoirs extérieurs de la religion". Il y prophétise aussi l’extermination de la race indienne.
Impressions de voyage, entre rencontres et désillusions
Plusieurs écrivains et artistes français ont témoigné de leurs séjours aux États-Unis. En 1791, le jeune François-René de Chateaubriand embarque pour l’Amérique, expérience qu’il relatera dans son Voyage en Amérique : "Au printemps de 1791, je dis adieu à ma respectable et digne mère, et je m'embarquai à Saint-Malo; je portais au général Washington une lettre de recommandation du marquis de la Rouairie". Il y découvre une nature grandiose qui le marque durablement et à laquelle il donnera une place de choix dans ses écrits fictifs.
Autrice, voyageuse, suffragette et conférencière, Olympe Audouard fut une des plus importantes représentantes du mouvement féministe français de la seconde moitié du XIXe siècle. Une tournée de conférences la conduit aux États-Unis et À travers l’Amérique : le Far West offre un savoureux récit, riche en anecdotes, de son voyage outre-atlantique. Non sans un certain franc-parler, Olympe Audouard y décrit le rapport à l’argent et aux affaires qu’entretiennent les Américains ("Pour le Yankee, amasser des dollars, voilà le seul but de la vie, il vient au monde avec ce désir."). On y lit, entre les lignes, un véritable fossé culturel, et une certaine déception chez la conférencière.
En 1880, Sarah Bernhardt entame une tournée outre-Atlantique, et, dans Ma double vie : mémoires, la comédienne narre son long voyage. Elle décrit son arrivée à New York, son entrée "dans le Nouveau Monde au milieu d’un feu d’artifices de glace", sa rencontre avec Thomas Edison ou sa fascination envers les Bostoniennes. Sarah Bernhardt y raconte aussi l’accueil glacial que les habitants de Springfield réservèrent à La Dame aux camélias, à cause de leur puritanisme.
Les États-Unis en littérature, un ailleurs fantasmé par les écrivains français
Les écrivains français se sont emparés des États-Unis, en en faisant souvent le symbole d’une Terre promise sur laquelle tout recommencer. Ainsi, dans Manon Lescaut (Télécharger l’EPUB) de l’Abbé Prévost (1697-1763), Manon Lescaut est condamnée à la déportation en Louisiane. Des Grieux la suit, et ils s’établissent à La Nouvelle-Orléans. Le couple connaît, dans les premières semaines de son arrivée, un bonheur paisible aux antipodes de la vie tumultueuse qui était la sienne en France : "C’est ici qu’on s’aime sans intérêt, sans jalousie, sans inconstance".
Atala (Télécharger l’EPUB) et René (Télécharger l’EPUB) de Chateaubriand ont pour héros René, un Français mélancolique exilé en Amérique, et recueilli par une tribu indienne, les Natchez. On y retrouve les impressions de voyage du jeune Chateaubriand, passées par le prisme de la fiction, et les États-Unis y deviennent le théâtre de cheminements initiatiques.
Dans la nouvelle Mon oncle Jules (Télécharger l’EPUB), Guy de Maupassant, dont on connaît le talent à explorer la vulnérabilité masculine, met en scène les rêves et fantasmes que suscite le rêve américain, à travers le douloureux échec d’un oncle parti faire fortune aux États-Unis.
Enfin, dans Le Mystère de la chambre jaune (Première partie et Deuxième partie) de Gaston Leroux (1868-1927), Philadelphie, Cincinnati et un presbytère de Louisville abritent l’idylle de la mystérieuse Mathilde Stangerson avec Ballmeyer, plus connu sous le nom de Frédéric Larsan ! Les États-Unis y constituent le point d’ancrage d’amours aussi fondatrices qu’absolues. Ils sont le lieu de l’aventure, de la liberté, de l’éternel recommencement, mais aussi de la personne, parfois demeurée secrète, qu’on a été et qu’on aimerait retrouver.
Commentaires
Nathaniel Hawthorne
Découverte des Contes Etranges de N. Hawthorne, j'ai été tenu en haleine par La fille aux poisons. Mais quelle ne fut pas ma déconvenue devant la disparition de la fin de cette nouvelle !
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