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Une Anglaise en Turquie : Lady Montague

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26 juillet 2019

Lady Montague, première Occidentale à voyager en Turquie, a laissé une correspondance évoquant un pays alors fort peu connu des Européens. Ses lettres, écrites pendant ses voyages en Europe, en Asie et en Afrique, publiées en 1763, inspirèrent des écrivains comme Chateaubriand ou Lord Byron.
Charles Jervas, Lady Montague © Wikimedia

Une vie d’aventures

Fille aînée du duc de Kingston-upon-Hull et de Lady Mary Feilding, Mary Wortley Montague est née en 1689 et a grandi dans les milieux intellectuels de Londres, côtoyant Sir Richard Steel et Joseph Addison et apprenant le latin. En 1712, elle épousa Sir Edward Wortley-Montague, ambassadeur britannique auprès de l’Empire Ottoman, avec lequel elle s’était enfuie suite à l’opposition de son père. Elle le suivit lors de ses missions en passant par Rotterdam, Vienne, Istanbul, la Grèce puis l’Afrique du Nord.
 
Gabrielle de Paban, Année des dames, ou Petite biographie des femmes célèbres pour tous les jours de l'année. Tome 2, Paris : Crevot, 1820, p. 166.
 
Après l’échec de son mariage, elle fit la connaissance d’un poète italien, le comte Francesco Algarotti en 1738. De nouveaux voyages l’amenèrent à Venise, puis en France, où elle s’installa près d’Avignon. Elle retourna ensuite en Italie et recevait ceux qui faisaient, comme elle, le « Grand Tour ». Elle mourut en 1762 après avoir laissé de nombreux écrits, parmi lesquels ses souvenirs d'Istanbul, texte qui parut anonymement juste après sa mort en 1763 et se présente sous la forme de lettres connues sous le titre de Turkish Letters.
La Revue philosophique, littéraire et politique, Paris, 29 juin 1805, p. 96.
 

Femmes voyageuses en route vers l’Orient

Les premières femmes voyageuses durant le XVIIIe siècle étaient en majorité des anglaises, souvent des aristocrates, en tout cas suffisamment fortunées et indépendantes pour se lancer sur les routes de l'Europe et de l'Orient proche que sont les Balkans, la Grèce et la Turquie.
Si dès le XVIIe siècle Lady Ann Fanshawe se déguisait en mousse pour affronter des pirates au large des côtes espagnoles, il faut attendre le début du XIXe siècle pour que les femmes voyageuses arpentent les routes de l’Orient, à l’instar de Lady Stanhope, riche aristocrate britannique, aventurière au Proche-Orient et proclamée « reine de Palmyre » par les tribus de bédouins, également décrite par Lamartine dans Voyage en Orient (1835).

Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, Tome 1. Paris, 1913-1914, p. 166
 

La première de ces « travellers » était, de l'opinion générale, Lady Montague. Le voyage de Londres au Bosphore dura presque une année et la fit passer par Rotterdam, l'Allemagne et Vienne. Quant au séjour à Istanbul, il dura un an et demi et ne fit qu'ouvrir le goût des voyages de Lady Montague, qui repartit sur les routes du Grand Tour en 1739, passant 22 ans en Italie et en France. Qu'il soit récit d'aventures ou de découverte, le voyage évoquait aux contemporains de la fin de l'époque des Lumières un parcours pénible et dangereux ou bien supposait une démarche d'exploration, à l’instar des voyageurs anglais Robert Wood et James Dawkins, qui explorèrent les ruines de Palmyre en 1757.
 

Il fallut attendre les années 1840 pour que la pratique du voyage se répande et que l'on assiste à une augmentation progressive des voyageuses. À travers l'écriture du voyage, les femmes eurent ainsi accès aux discours publics traditionnellement réservés aux hommes. Qu'elles abordent les rivages méditerranéens ou ceux de la mer du Nord, ou encore le monde slave, les voyageuses se firent connaître par leurs récits qui popularisèrent des régions encore peu fréquentées, ainsi la Norvège pour Mary Wollestonecraft ou la Baltique pour Elizabeth Rigby. Arrêt obligé lors de voyages lointains, au retour de périples en Égypte, en Turquie ou en Palestine, la Grèce était également la destination des voyageuses. Si de tels pays faisaient parfois l'objet de récits à portée scientifique, ils étaient surtout évoqués dans leur dimension fantasmagorique. Ainsi, Constantinople suscitait le rêve avec l'évocation des harems. À l’instar de Lady Montague, les voyageuses regardaient autour d'elles avec une inépuisable curiosité, toujours prêtes à découvrir de nouveaux environnements, de nouvelles cités et de nouveaux vestiges antiques tout en prenant conscience de la relativité des modes et des mœurs. Mais l'itinéraire du voyage et de la découverte était aussi celui de la peur, de la faim, du froid et des désagréments causés par de tels voyages. Toutefois, Lady Montague ne s’est jamais laissée décourager et a surmonté la peste, l'hiver et les aléas de ce mode de vie.

L’Orient rêvé, réservoir d’inspiration
Les Montague disposaient d'un certain nombre d'atouts. En 1717, Lady Montague était une figure très marginale dans le milieu diplomatique entre Turquie et Occident, néanmoins, elle donna le premier témoignage ethnographique sur une civilisation qu'elle put observer avant la lente décadence de l'Empire ottoman. La Turquie connaissait alors une période d’ouverture aux savoir-faire occidentaux, aux médecins, aux architectes… Vus à la fois comme rudes et raffinés, proches et lointains, les Turcs étaient les acteurs d'un monde bloqué entre liberté et despotisme. Les lettres de Lady Montague donnèrent une place importante au décor. La toile de fond contenait les différentes villes orientales traversées : la citadelle de Belgrade, les vestiges antiques près de Sofia, les ruines byzantines, l'effritement des mosaïques chrétiennes de Sainte Sophie, les gracieux minarets jusqu’aux coupoles des mosquées qui s'élevaient tels « des coffrets et des chandeliers » juxtaposés dans le désordre.
 

Revue Tablettes universelles, Paris, 1823, p. 365.

Les Turkish Letters publiées en 1763 furent rééditées à de nombreuses reprises. Ces récits de voyage inspirèrent au XIXe siècle de nombreux voyageurs, écrivains et les peintres orientalistes, notamment Delacroix qui entreprit le voyage en Orient, mais aussi Ingres.

François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en allant par la Grèce et revenant par l'Egypte, la Barbarie et l'Espagne. Tome 3. Paris : Le Normant, 1811, p. 125.

Le Bain turc d’après Lady Montague

S'inspirant des lettres de Lady Montague qui raconte sa visite d'un bain pour femmes à Istanbul, à la fin de sa vie, Ingres crée une toile d’un intense érotisme avec une scène de harem associant le motif du nu et le thème de l'Orient, jouant d’une composition où dominent les arabesques.
 

Journal pour tous : magazine hebdomadaire illustré, Paris : Ch. Lahure, 1855-04-07, p. 13.

Joseph Straszewicz ; Laure Junot Abrantès, Les femmes célèbres de tous les pays : leurs vies et leurs portraits, Paris : Lachevardière, 1834, p. 78.

 

Dans ce tondo, on découvre des dizaines de femmes turques nues, assises dans des attitudes variées au sein d’un intérieur oriental organisé autour d'un bassin. Certaines baigneuses sortent de l'eau, s'étirent ou s'assoupissent. D'autres dégustent du café.

Ingres, Le bain turc, fonds Albert Pomme de Mirimonde. Collection de documents iconographiques. Boîte 17, Concerts parodiques - Exotisme
 
Paul Vitry,  Les Musées de France : bulletin publié sous le patronage de la Direction des musées nationaux et de la Société des amis du Louvre, Paris : Ateliers photomécaniques D.-A. Longuet, 1911, p. 36.

Mais, contrairement à Delacroix, Ingres n'est jamais allé en Orient et a rêvé cette contrée à partir de ses lectures. Il fut inspiré par les Lettres d'une ambassadrice anglaise en Turquie au XVIIIe siècle de Lady Montague, dont une des missives raconte sa visite d'un bain réservé aux femmes.
 

Gérard de Nerval, Scènes de la vie orientale. Les Femmes du Caire, Paris : F. Sartorius, 1848, p. 349.

Pour aller plus loin
Pour explorer d’autres voyages au Proche-Orient, consulter les sélections proposées sur le site Bibliothèques d’Orient
Découvrir l’exil italien de Lord Byron et Percy Bysshe Shelley

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