Une Anglaise en Turquie : Lady Montague
Une vie d’aventures
Femmes voyageuses en route vers l’Orient
Les premières femmes voyageuses durant le XVIIIe siècle étaient en majorité des anglaises, souvent des aristocrates, en tout cas suffisamment fortunées et indépendantes pour se lancer sur les routes de l'Europe et de l'Orient proche que sont les Balkans, la Grèce et la Turquie.
Si dès le XVIIe siècle Lady Ann Fanshawe se déguisait en mousse pour affronter des pirates au large des côtes espagnoles, il faut attendre le début du XIXe siècle pour que les femmes voyageuses arpentent les routes de l’Orient, à l’instar de Lady Stanhope, riche aristocrate britannique, aventurière au Proche-Orient et proclamée « reine de Palmyre » par les tribus de bédouins, également décrite par Lamartine dans Voyage en Orient (1835).
Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, Tome 1. Paris, 1913-1914, p. 166
Vue du Serail du Grand Seigneur ou la Grande Sultane fait sa demeure ; pris du coté du Jardin a Constantinople. A Paris chez Basset rue St. Jacques [ca 1770]
Il fallut attendre les années 1840 pour que la pratique du voyage se répande et que l'on assiste à une augmentation progressive des voyageuses. À travers l'écriture du voyage, les femmes eurent ainsi accès aux discours publics traditionnellement réservés aux hommes. Qu'elles abordent les rivages méditerranéens ou ceux de la mer du Nord, ou encore le monde slave, les voyageuses se firent connaître par leurs récits qui popularisèrent des régions encore peu fréquentées, ainsi la Norvège pour Mary Wollestonecraft ou la Baltique pour Elizabeth Rigby. Arrêt obligé lors de voyages lointains, au retour de périples en Égypte, en Turquie ou en Palestine, la Grèce était également la destination des voyageuses. Si de tels pays faisaient parfois l'objet de récits à portée scientifique, ils étaient surtout évoqués dans leur dimension fantasmagorique. Ainsi, Constantinople suscitait le rêve avec l'évocation des harems. À l’instar de Lady Montague, les voyageuses regardaient autour d'elles avec une inépuisable curiosité, toujours prêtes à découvrir de nouveaux environnements, de nouvelles cités et de nouveaux vestiges antiques tout en prenant conscience de la relativité des modes et des mœurs. Mais l'itinéraire du voyage et de la découverte était aussi celui de la peur, de la faim, du froid et des désagréments causés par de tels voyages. Toutefois, Lady Montague ne s’est jamais laissée décourager et a surmonté la peste, l'hiver et les aléas de ce mode de vie.
L’Orient rêvé, réservoir d’inspiration
Les Montague disposaient d'un certain nombre d'atouts. En 1717, Lady Montague était une figure très marginale dans le milieu diplomatique entre Turquie et Occident, néanmoins, elle donna le premier témoignage ethnographique sur une civilisation qu'elle put observer avant la lente décadence de l'Empire ottoman. La Turquie connaissait alors une période d’ouverture aux savoir-faire occidentaux, aux médecins, aux architectes… Vus à la fois comme rudes et raffinés, proches et lointains, les Turcs étaient les acteurs d'un monde bloqué entre liberté et despotisme. Les lettres de Lady Montague donnèrent une place importante au décor. La toile de fond contenait les différentes villes orientales traversées : la citadelle de Belgrade, les vestiges antiques près de Sofia, les ruines byzantines, l'effritement des mosaïques chrétiennes de Sainte Sophie, les gracieux minarets jusqu’aux coupoles des mosquées qui s'élevaient tels « des coffrets et des chandeliers » juxtaposés dans le désordre.
Revue Tablettes universelles, Paris, 1823, p. 365.
Les Turkish Letters publiées en 1763 furent rééditées à de nombreuses reprises. Ces récits de voyage inspirèrent au XIXe siècle de nombreux voyageurs, écrivains et les peintres orientalistes, notamment Delacroix qui entreprit le voyage en Orient, mais aussi Ingres.
François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en allant par la Grèce et revenant par l'Egypte, la Barbarie et l'Espagne. Tome 3. Paris : Le Normant, 1811, p. 125.
Le Bain turc d’après Lady Montague
S'inspirant des lettres de Lady Montague qui raconte sa visite d'un bain pour femmes à Istanbul, à la fin de sa vie, Ingres crée une toile d’un intense érotisme avec une scène de harem associant le motif du nu et le thème de l'Orient, jouant d’une composition où dominent les arabesques.
Journal pour tous : magazine hebdomadaire illustré, Paris : Ch. Lahure, 1855-04-07, p. 13.
Joseph Straszewicz ; Laure Junot Abrantès, Les femmes célèbres de tous les pays : leurs vies et leurs portraits, Paris : Lachevardière, 1834, p. 78.
Dans ce tondo, on découvre des dizaines de femmes turques nues, assises dans des attitudes variées au sein d’un intérieur oriental organisé autour d'un bassin. Certaines baigneuses sortent de l'eau, s'étirent ou s'assoupissent. D'autres dégustent du café.
Mais, contrairement à Delacroix, Ingres n'est jamais allé en Orient et a rêvé cette contrée à partir de ses lectures. Il fut inspiré par les Lettres d'une ambassadrice anglaise en Turquie au XVIIIe siècle de Lady Montague, dont une des missives raconte sa visite d'un bain réservé aux femmes.
Gérard de Nerval, Scènes de la vie orientale. Les Femmes du Caire, Paris : F. Sartorius, 1848, p. 349.
Pour aller plus loin
Pour explorer d’autres voyages au Proche-Orient, consulter les sélections proposées sur le site Bibliothèques d’Orient
Découvrir l’exil italien de Lord Byron et Percy Bysshe Shelley
Ajouter un commentaire