Le chic à la française : les revues de mode des années 20 et 30
La présentation des revues de mode évolue de manière radicale au debut du 20e siècle et, à l’instar des revues d’art, elles sont à l’origine de nombreuses innovations esthétiques. Les dessins s’épurent et se modernisent, et on peut y voir les premières séries photographiées de mode. La revue de mode est aussi là pour « diffuser la mode à la française ».
La France et Paris occupent une place importante dans le monde de la mode, un rôle qui est ancré dans l'imaginaire grâce aux revues justement. Et cela se reflète jusque dans les titres avec des termes comme « chic », « mode », « Paris », « bon ton » etc.
Ainsi la Gazette du bon ton (1912-1925), est fondée en 1912 par Lucien Vogel. Cet homme de presse de la 1ère moitié du 20e siècle a à cœur de renouveler la revue de mode en la modernisant. Il pose ainsi le magazine de mode comme un art de vivre et la Gazette est destinée à une clientèle luxueuse.
Ses illustrations sont d’une grande qualité : on y retrouve les noms prestigieux de Paul Iribe, Georges Barbier ou Georges Lepape. La police de couverture dans l’esprit art déco et ses gravures réhaussées au pochoir, très finement réalisées qui rythment la publications, lui donne une allure résolument élégante et raffinée.
Les créateurs dont les vêtements sont mis en avant sont largement reconnus : on y voit ainsi les créations des grands couturieurs que sont Jacques Doucet, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet ou encore Paul Poiret. Ci-dessous, une de ces créations dessinée par Georges Lepape, des lignes pures, des aplats de couleurs et de motifs qui en font une composition novatrice :
La Gazette du bon ton, 1920, Tome II, pl. 45 : Paul Poiret, une robe d’après-midi en organdi plissé blanc, voilée de foulard imprimé
Autre revue chic, Art, goût, beauté (1921-1933), fondée par Albert Gode-Bodin (le titre de la revue reprend les initiales de son nom), est le support de promotion de soieries produites par son entreprise lyonnaise Albert Gode-Bodin et Cie.
Publicité, Art, goût, beauté, n°27, novembre 1922
Art, goût, beauté, n°96, août 1928
Cette revue est également très soignée dans sa composition : l’illustration de couverture est contrecollée sur un carton et signée. La mise en page très délicate, alterne de manière équilibrée des textes et des illustrations également coloriées au pochoir.
Ce magazine très luxueux est destiné à de riches clientes qui souhaitent faire réaliser leurs vêtements par les grands couturiers du moment. Sont mis en avant les mêmes grands noms que dans la Gazette du bon ton : Worth, Poiret, Doucet mais aussi Gustave Beer. Les grandes maisons de couture y trouvent aussi un support pour leurs réclames.
Publicité pour la maison de couture Redfern, Art, goût, beauté, n° 100 de Noël 1928
À partir des années 20, l’influence du modèle américain avec Vogue et Harper's Bazaar se fait de plus en plus prégnante. La photographie prend le pas sur les gravures. La revue Art, goût, beauté suit ce mouvement et introduit progressivement des photographies de mode.
Art, goût, beauté, n°90, février 1928
Enfin, pour distraire la lectrice, la revue propose une rubrique mondanité rédigée par Henri Clouzot, alors conservateur au musée Galliera.
Art, goût, beauté, n°100, Noël 1928
La Mode chic est elle fondée en 1932 par Germaine Joumard, déjà à l'origine de deux revues Très parisien et Les idées nouvelles de la mode. Si La mode chic reprend les codes des deux précédentes revues : couverture dessinée en couleurs, mise en page épurée, alternance de photographies et de dessins, reflet des tendances de l'époque,
son allure générale indique qu’elle est destinée à un public moins aisé. De plus, les légendes très développées revêtent un caractère didactique pour les lectrices. La mode chic se pose en conseillère ou en amie pour ses lectrices qui voudraient suivre les dernières tendances.
La Mode chic, n°1, juin 1932
La Mode chic, n°5, octobre 1932
On trouve d’ailleurs en fin de revue un patron pour réaliser soi-même son vêtement et épouser la mode du moment.
La Mode chic, n°2, juillet 1932
Qu’elles soient luxueuses ou plus accessibles, ces revues éclairent le monde féminin des années 20 et 30. Cependant, même si leur lecture est un ravissement pour les yeux, leur vision de la femme est assez illusoire et demeure un fantasme de ce que devrait être la femme moderne.
Voir aussi
- les autres billets de la série Suivez la mode !, notamment ceux consacrés aux 100 ans de Vogue.
Pour aller plus loin sur ce thème
- « Histoire des revues de mode » par Sylvie Roy, dans Le bouquin de la mode sous la direction d'Olivier Sallard, p. 599-624
- « L’édition de presse selon Lucien Vogel : l’inventivité dans la diversité » par Sophie Kurkdjian, dans la Revue de la BNF 2015/1, n° 49, pages 60 à 71
- « Femmes, mode et industrie de la mode dans l'entre-deux guerres (France, Grande-Bretagne, Belgique) », Apparence(s), n°7, 2017
- « Le jardin des modes (1922-1992) » par Dominique Veillon dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1993, 39, p. 108-110.
et deux expositions à voir
- Harper’s Bazaar, premier magazine de mode, au Musée des Arts décoratifs (Paris), du 28 février 2020 au 4 janvier 2021
- Man Ray et la mode, au Musée du Luxembourg (Paris), du 23 septembre 2020 au 17 janvier 2021
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