Les couleurs de la cathédrale : Viollet-Le-Duc et la restauration des peintures de Notre-Dame
Alors que discussions et polémiques entourent le chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris, il est intéressant de retrouver, grâce aux ressources de Gallica, l’étonnant volume de planches en couleurs où Viollet-Le-Duc justifie ses partis-pris artistiques lors de la restauration des peintures du bâtiment.
Lorsque l'on évoque les différents bouleversements subis par un monument dans son histoire, l’aménagement intérieur est plus rarement source de commentaires que l’architecture proprement dite. Dans le cas de Notre-Dame et de Viollet-Le-Duc, cependant, la situation est plus complexe. Théoricien autant que maître d’œuvre, l'homme a imposé une certaine vision de la restauration qui ne se limite pas à une simple réfection, ni ne se confond avec la restitution absolue d’un état antérieur. Aussi fut-il fréquemment accusé d'avoir réinventé un Moyen Âge de fantaisie dans sa volonté de rendre sa splendeur à un bâtiment trouvé en triste état au début du chantier.
Ceci explique sans doute cela, mais lorsque l’architecte publie en 1870 le recueil de planches synthétisant son travail sur les peintures murales du monument, il croit nécessaire d’accompagner le volume d’un important avant-propos aux allures de justificatif. L’auteur y récuse par avance d’éventuelles critiques sur l’usage de la couleur, que certains jugeraient peut être malvenue, voire intrusive, dans un écrin immaculé comme une cathédrale. Invoquant les découvertes des archéologues et les témoignages historiques, Viollet-Le-Duc rappelle que la peinture a toujours été présente dans les monuments anciens, y compris médiévaux, et que c'est en fait le XVIIe siècle avec sa vision erronée d'une prétendue pureté antique qui a imposé le dogme de la pierre brute. Il va même plus loin, reprochant au classicisme d’avoir détérioré le goût et le sens esthétique du public par son refus borné des couleurs :
Pour Viollet-Le-Duc, l’absence de polychromie sur les parois internes des cathédrales gothiques relève plutôt d’un inachèvement que d’une volonté initiale, la trop longue durée des chantiers ayant fait perdre au fil du temps les intentions primitives des bâtisseurs. Dans les édifices plus petits, les traces de pigments encore visibles apporteraient la preuve non seulement d’un usage systématique de la couleur mais aussi d’un savoir-faire médiéval adapté à la luminosité des nations du Nord, et dont les modalités esthétiques seraient par conséquent très éloignées des tons crus de l’antiquité méditerranéenne.
Peintures murales des chapelles de Notre-Dame de Paris, pl. 52
La présence de peinture est d’autant plus contestée qu’elle est conditionnée, on ose presque dire éclipsée, par l’importance des vitraux. Puisque cette « tapisserie translucide » occupe toutes les surfaces planes et l’essentiel des motifs « à sujets », Viollet-Le-Duc en déduit, dans le projet initial des concepteurs, un usage fonctionnel des teintes sur les parties encadrantes et portantes de l’édifice. Tout reposerait sur une recherche d’équilibre entre l’opacité des pigments employés et l’éclat lumineux du vitrail. Cela implique pour la restauration un recours à des tons « rompus » plutôt que francs, pour éviter contradiction et disharmonie avec l’atmosphère lumineuse générée par le verre. Cela signifie aussi un refus du trompe-l’œil et de l’imitation servile des ornements de la pierre, tout ce que l’architecte dénonce comme « les abus décoratifs de notre temps ».
Haut-parleur à Notre-Dame / Agence Roll (1925)
Abus ou pas, Le-Duc est conscient qu’un regard formaté par deux siècles de culte de la blancheur peut rester perplexe devant une telle démarche, tant « un public qui a perdu l’habitude de voir des couleurs assemblées est obligé de faire un effort pour comprendre l’harmonie qui résulte de cet assemblage ». Public d’autant plus suspicieux que, il le reconnaît volontiers, les tentatives de restitution menées jadis de ce côté du Rhin ont souvent tourné court, ayant été conduites avec plus de passion que de méthode. Ce divorce entre les attentes du public et les efforts parfois mal compris des artistes restaurateurs oblige à beaucoup de circonspection, voire de prudence. Il s’agit en quelque sorte d’éduquer l’œil progressivement, sans le choquer :
Le-Duc admet tout de même que, dans les espaces larges, le travail de la lumière colorée sur l’ombre, la poussière et la pierre compense le renoncement aux décorations murales. Cependant, dans les volumes étroits des chapelles, l’éclat tamisé des verrières ne peut à lui seul assurer l’harmonie souhaitée. Ces chapelles, au nombre de vingt-trois, sont en effet des ajouts tardifs du XIIIe siècle insérés dans les creux internes des contreforts. Ici, la peinture est indispensable et ne saurait se contenter d’un simple rôle de contraste, il lui faut assumer des tons « très vigoureux » pour atténuer l’aspect blafard de parois qui n’étaient pas conçues à l’origine pour être contemplées de l’intérieur. Il faut par ailleurs tenir compte des qualités d’éclairages différentes de ces espaces, liées à l’exposition nord-sud de la cathédrale, ce qui suppose encore une répartition équitable entre les tons froids et chauds des couleurs.
L’explication des planches qui constituent le cœur du volume montre à quel point chacune de ces chapelles représente pour Viollet-Le-Duc un lieu autonome, dont la décoration doit être étudiée de façon indépendante, en accord avec son agencement propre : éclairage, présence de tapisseries ou de mobilier, statues ou retables, vestiges de boiseries anciennes, et même présence de tombeau comme celui de Monseigneur De Belloy dans la chapelle Saint-Marcel. De l’ensemble de ces facteurs dépendra le type de tons employés, le recours ou non à des motifs à sujets. Dans certains cas, des peintures sauvegardées du XIVe siècle cohabitent avec des œuvres dues à des artistes modernes (Théodore Maillot, Auguste-François Perrodin). Trois espaces supplémentaires sont décrits en dehors des chapelles, portant à vingt-six le nombre de peintures murales restaurées ou exécutées.
Le tout est complété par un plan indiquant la répartition de ces espaces :
Pour aller plus loin :
- Viollet-le Duc dans Gallica et sur le site Passerelle(s)
- Nathalie Hersent. « Notre-Dame de Paris, fluctuat nec mergitur ». Billet du blog Gallica
- Agnès Sandras. « Regarder, contempler et visiter Notre-Dame de Paris au XIXe siècle ». Billet dans le carnet L'Histoire à la BnF
- Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris par M. de Guilhermy et M. Viollet-le-Duc,1856
- Projet de restauration de Notre-Dame de Paris : rapport adressé à M. le Ministre de la Justice et des Cultes / par M.M. Lassus et Viollet-Leduc, 1843
- De la décoration appliquée aux édifices par Eugène Viollet-Le-Duc, 1893
Commentaires
TOUTES LES SELECTIONS
En tant que Guide Conférencière, je suis très intéressée par tous vos documents sur l'Art ou l'Histoire de l'Art.
Merci de partager l'extraordinaire richesse de vos sources.
Les peinture de Notre-Dame
Merci pour cette remarquable idée, un focus très intéressant sur Violllet-le-Duc à travers ses travaux ponctuels, hors son dictionnaire raisonné. Mille mercis
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