Anders Zorn, graveur suédois et cosmopolite (1860-1920)
Personnage pétri de contrastes et de paradoxes, Anders Zorn, graveur né en Suède en 1860, est l'un des graveurs emblématiques de la fin du XIXe siècle.
Danse à Gopsmor (2e état) / Zorn, 1906. Eau-forte ; 30 x 20 cm (élt d'impr.)
À grands coups de hachures obliques directement incisées sur la plaque, Anders Zorn a su graver en vingt minutes le portrait de Marcellin Berthelot et restituer à la fois l’acuité et la fatigue du regard du savant proche de sa fin. Devant une estampe de Zorn, le premier coup d’œil retient une composition de lignes posées avec force et détermination. Il faut ensuite prendre du recul pour identifier le sujet. La gravure de Zorn est rapide. Elle peut être brutale au point de percer le métal, laissant des crevés dans les noirs. Heureusement, cette manière impulsive d’attaquer la matrice est souvent adoucie par quelques traits de pointe sèche ou de burin, quelques modelés tracés à la roulette. En fait Zorn a mis au point une technique très personnelle. Il a fui l’enseignement trop classique qu’il avait reçu dans sa jeunesse à l’Académie des arts de Stockholm. En 1882, il part pour Londres où il rencontre le graveur Axel Herman Haig, lui-même initié à cet art par Alphonse Legros. Un cénacle d’artistes modernes se constitue, réunissant aussi James McNeil Whistler, Seymour Haden, James Tissot. Tous ont adhéré au courant du renouveau de l’eau-forte commencé dans les années 1860 et ont été inspirés par le Traité de la gravure rédigé par Maxime Lalanne en 1866. Si ce n'est que Zorn s’approprie ces idées modernes à sa façon, avec son style rapide et sommaire, spontané et vigoureux. Il ne multiplie pas les états ni les retouches ; il grave vite, fort, de façon décisive, demandant au sujet portraituré une pose naturelle.
Ce style très personnel a été nourri d’influences décisives. Comme Rembrandt, Zorn jalonne son parcours artistique d’autoportraits. Il étudie dans les gravures du maître hollandais les effets de lumière, la pureté des lignes. Le portrait de Zorn et de sa femme peut être considéré comme une citation du portrait de Rembrandt et Saskia. L’autre influence, plus proche, est celle des graveurs impressionnistes admirés lors de ses séjours parisiens. Il en retient la dissolution de la forme en touches de lumière, l’effacement des contours du sujet. Zorn est marqué particulièrement par Manet que lui a présenté son ami Antonin Proust, directeur des Beaux-Arts. Ce dernier lui a passé commande d’un portrait à l’aquarelle, repris ensuite à l’eau-forte, de la danseuse espagnole Rosita Mauri, également peinte en 1879 par Manet.
Zorn est un personnage constitué de contrastes et de paradoxes. D’origine modeste, il connaît le triomphe et une certaine opulence dans sa vie d’artiste. Né en 1860 à Mora, petite ville de la province suédoise de Dalécarlie, il devient un artiste cosmopolite, parcourant le monde dès 1881. Il se rend à Paris, à Londres, en Espagne, à Tanger, plus tard en Turquie, en Grèce et en Hongrie ; il effectue sept voyages en Amérique du Nord. Il réside très souvent à Paris entre 1881 et 1896. Grâce aux gravures de Zorn, on peut reconstituer un panorama du milieu intellectuel et artistique parisien au tournant du XXe siècle : Antonin Proust, Armand Dayot, J.B. Faure, Albert Besnard, Ernest Renan, Paul Verlaine, Anatole France, Marcellin Berthelot, Auguste Rodin. .. L’artiste s’est lié d’amitié avec les artistes et les personnalités importantes du monde culturel, comme Edouard Manet ou Auguste Rodin, Antonin Proust, Alfred Beurdeley pour citer ceux qui ont joué un rôle important dans sa carrière. Il expose au Salon de 1882, à l’Exposition universelle de 1889 et en 1906 à la galerie Durand-Ruel pour une rétrospective de l’ensemble de son œuvre. En 1906, il expose à Berlin. Le marchand new-yorkais Frederick Keppel le présente aux Américains en 1893, 1899 et 1907, lui assurant une réputation internationale. Pourtant Zorn retourne toujours à Mora et finit par se fixer définitivement en Suède, dans sa province natale, où il crée un musée en plein air. Les sujets traités dans son œuvre reflètent les deux milieux qu’il côtoie, mondain ou modeste. Il grave ou peint les portraits de trois présidents américains, de cinq membres de la famille royale suédoise ; il est l’ami du prince Eugène de Suède, du prince Troubetskoy de Russie. Parallèlement, il aime représenter des personnages humbles de son entourage, sa mère, des paysans, des nus de plein air. Un point commun peut relier ces sujets éloignés, la forte présence des modèles dans des moments de vie rendus avec force et efficacité.
Sur les 288 estampes de Zorn répertoriées par Karl Asplund dans le catalogue raisonné publié en 1920, 212 pièces figurent dans les fonds de la BnF. Zorn, par ses affinités avec le milieu artistique parisien et grâce à sa propre générosité aussi, nous a permis de réunir une collection représentative de son œuvre imprimé. Son don personnel en 1906, concomitant de celui d’Alfred Beurdeley, son ami et grand amateur de ses gravures, complétés en 1943 par le legs d’Atherton Curtis, collectionneur américain établi à Paris, ont pu constituer un œuvre de qualité que la numérisation permet aujourd’hui de redécouvrir.
Monique Moulène, Département des Estampes et de la photographie
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