La Retraite pour tous selon Auguste Escoffier
Auguste Escoffier, Chef de cuisine emblématique de la gastronomie française, a fait preuve d’un grand engagement social tout au long de sa vie. Bien que côtoyant l’élite mondiale dans les palaces luxueux dans lesquels il officia la majeure partie de sa carrière, il n’a pourtant jamais cessé de se préoccuper des plus démunis.
L'Atlantique, Paris, 23 décembre 1930
En 1898 à Londres, il rencontre Gaston Calmette, Directeur du journal quotidien Le Figaro. Il lui fait part, "dans les grandes lignes", d’un projet de retraite qui pourrait bouleverser le bien-être des citoyens français.
Douze ans plus tard, forcé de constater l’inaction des gouvernements successifs, il décide de lui adresser une lettre accompagnée de son projet désormais rendu public.
Auguste Escoffier fait preuve d’humilité quant à son traité en précisant qu’il n’était pas le plus à même de rédiger un tel document mais l’accroissement de la pauvreté le pousse à agir.
La première phrase de son Projet d’Assistance Mutuelle pour l’Extinction du Paupérisme donne le ton de son propos :
La principale préoccupation des économistes doit être d’assurer l’existence des vieillards et des infirmes."
Il reproche aux décisionnaires d’être éloignés de la réalité de la classe ouvrière qu’il a lui-même côtoyé près d’un demi-siècle. Pour lui, tous les citoyens méritent de bénéficier d’un système de retraite, à l’image de celui déjà en vigueur pour les fonctionnaires et les militaires.
D’après Auguste Escoffier, au vu des sommes colossales dépensées pour assurer "la paix armée" du pays (en forces militaires et navales), le gouvernement pourrait, "en bonne logique, assurer la vieillesse tranquille à tous ses enfants" qui leur donnent leurs plus belles années et même parfois leur vie.
Afin d’assurer "une paix sincère" et par la même occasion de réaliser des économies, il interpelle sur la nécessité de créer une Confédération Européenne, prônée par les philosophes de son époque depuis une cinquantaine d’années.
Les intérêts vitaux de tous les pays sont aujourd’hui les mêmes ; chacun d’eux aspire avant toute chose à la paix, non pas cette "paix armée" qui n’est qu’une hypocrite préparation à la guerre, mais une paix sincère et définitive. [...] Pourquoi donc ne pas s’unir pour ne plus former qu’un seul grand pays, sans rien changer par ailleurs aux constitutions que les peuples divers se sont librement données ? On en viendra là nécessairement, dans un avenir assez rapproché ; mais peut-être seulement après avoir subi la plus absurde et la plus épouvantable des guerres. Pourquoi donc la voix de la sage raison ne se fait-elle pas entendre dès à présent ? Les milliards dépensés en pure perte assureraient partout le repos et le bonheur à la vieillesse et apporteraient aussi une immense amélioration au sort des travailleurs."
Il propose ensuite, une solution plus accessible à nos gouvernants, étant conscient que la précédente pourrait prendre encore de nombreuses années à se réaliser.
Un dépôt obligatoire de 10 francs devra être réalisé à la naissance de chaque enfant, en son nom, à la caisse d’épargne. Pour les orphelins et enfants dont les parents ne pourraient supporter cette somme, il ferait appel à la générosité des citoyens plus aisés par l’intermédiaire d’une caisse spéciale de secours alimentée par des dons.
L’État devra également constituer un capital de réserve qui serait constitué par l’augmentation des impôts, l’instauration d’une taxe sur les célibataires, le pays étant menacé par la dépopulation, ou une taxe proportionnelle sur les revenus.
Puis, il présente une répartition du produit de ses taxes afin de "soulager les misères présentes".
Cette redistribution permettrait notamment la création de maisons de retraite dans chaque département pour tous les vieillards nécessiteux et les infirmes.
Toutes ses actions mèneraient à l’interdiction de la mendicité, les personnes âgées dans le besoin étant prises en charge par ce système. Les travailleurs se retrouvant sans emploi pourront recourir à un service spécial de secours géré par les municipalités.
Un aveugle, Luchon, route de Montauban, 1er septembre 1895, Trutat, Eugène (photographe)
Selon ses prévisions et en appliquant ce système dès 1911 :
Il faudra 90 années de prévoyance pour assurer un capital social suffisant pour éteindre définitivement la misère."
Il termine son projet en détaillant le fonctionnement des maisons de retraite. Enfin, pour créer ces lieux d’accueil, il propose la création d’une loterie, à l’époque interdite, et l’organisation d’une fête annuelle de bienfaisance dans chaque commune française. Il ouvre son propos en incitant le tout un chacun à proposer des idées pour réaliser "en commun, une œuvre belle et durable" dont les générations futures profiteront davantage mais dont la réalisation procurera la joie de faire le bien.
Ce traité est une pépite, un écrit avant-gardiste, détaillé, méconnu du grand public. Il prouve qu’Auguste Escoffier était un homme soucieux de ses semblables et profondément humaniste. Afin de découvrir l’ensemble de son engagement social, le Musée Escoffier de l’Art Culinaire expose "Auguste Escoffier, un humaniste" jusqu’au 31 octobre 2022 (à Villeneuve-Loubet village, dans les Alpes-Maritimes).
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