Kessel sur la trace des marchands d'esclaves
La série d’articles que Joseph Kessel fait paraître dans Le Matin en mai-juin 1930 sur la survivance de l’esclavage entre la corne de l’Afrique et l’Arabie constitue l’une des plus grandes réussites du reportage de l’entre-deux-guerres.
De gauche à droite : Monfreid, Kessel et le guide Abdi. Le Matin, 5 juin 1930
Jeune journaliste et écrivain déjà prometteur, Kessel arrive à convaincre le journal, qui connaît une baisse constante de son tirage depuis la fin de la Grande Guerre, de financer son projet d’enquête. Une semaine avant le début de sa publication, le quotidien en fait déjà la publicité en une (Le Matin du 20 mai 1930).
Trois états indépendants orchestrent toujours l’esclavage : en Afrique, l’Ethiopie, en Asie le Yémen et le Hedjaz (Le Matin du 28 mai 1930). L’objectif de Kessel est le suivant : « Il fallait se rendre en Abyssinie, étudier là sans nous trahir le recrutement et les modalités de l’esclavage. Suivre la marche des trafiquants à travers le désert, la brousse et la mer ; enfin visiter le Yémen et le Hedjaz pour y voir l’aboutissement de ce commerce hasardeux. »
Pour cela, il s’adjoint les services du lieutenant de vaisseau Lablache-Combier et du médecin militaire Emile Peyré, donnant naissance au reportage en équipe qui deviendra bientôt la norme. Mais surtout, il rencontre Henry de Monfreid dont il dresse un portrait qui permet de mesurer la fascination qu’exerce sur lui ce personnage, prototype même de l’aventurier. (Le Matin du 27 mai 1930).
Les esclaves sont d’abord décrits par Kessel lui-même comme un « troupeau obscur » (Le Matin du 29 mai 1930), avant que cette foule indistincte ne s’individualise et ne s’humanise sous sa plume par le témoignage direct de ses membres (Le Matin du 31 mai 1930).
Les reporters font la connaissance de Saïd, le trafiquant d’esclaves, qui leur révèle les deux moyens de se procurer sa « marchandise » : par paiement de l’impôt d’un village trop pauvre qui rétribue ensuite les marchands en monnaie humaine. Ou bien en chassant directement les villageois afin de les capturer (Le Matin du 02 juin 1930).
Enquête de Joseph Kessel sur la traite des esclaves.
Après un périple semé d’embûches, Kessel retrouve la caravane d’esclaves de Saïd (Le Matin du 08 juin 1930) et embarque dans le bateau de Monfreid pour une traversée mouvementée de la Mer Rouge (Le Matin du 09 juin 1930) afin de se rendre au Yémen, point d’arrivée de leur périple.
Kessel conclut son reportage en invoquant le devoir d’ingérence des puissances coloniales afin de mettre un terme à ce trafic. La volonté des chefs politiques de ces régions, malgré les résistances culturelles, est également jugée essentielle (Le Matin du 14 juin 1930).
La publication de ce reportage aura permis au Matin d’augmenter son tirage de 150 000 exemplaires. Il est édité en volume en 1933 sous le titre Marchés d’esclaves.
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