Le métro en projets
Paris, comme d'autres capitales et grandes villes, est confrontée au milieu du XIXe siècle à plusieurs enjeux de circulation : l'engorgement des centres anciens aux rues étroites, l'approvisionnement en denrées alimentaires qui, grâce au chemin de fer arrivent désormais rapidement aux portes de la ville mais doivent encore parvenir dans les halles et marchés centraux. Enfin, avec l'accroissement urbain, le nouvel enjeu est de faire venir la main d'œuvre ouvrière qui réside de plus en plus dans les faubourgs jusque sur les chantiers et industries de la ville.
Fervent défenseur des chemins de fer métropolitains, Louis Figuier expose leurs avantages dans Les chemins de fer métropolitains : Londres, New York, Philadelphie, Berlin, Vienne et Paris, ouvrage paru en 1886 : "diminuer l'encombrement des rues principales, cause d'accidents"(…), rendre l'entretien des rues plus facile et moins coûteux en reportant une partie du trafic sur la voie de chemin de fer, et "mettre à disposition des habitants des villes des moyens de transports toujours prêts, toujours suffisants" pour une modique somme.
Les premiers projets 1846-1870
Les omnibus hippomobiles qui circulent sur des lignes fixes depuis 1828 s'avèrent insuffisants car ils restent soumis aux mêmes problèmes de circulation que les autres véhicules et ne transportent que peu de passagers.
Les omnibus, en 1894 par Crafty
Il faut donc une voie de circulation dédiée et quoi de plus logique que d'imaginer des voies de chemin de fer, ce nouveau moyen de locomotion, qui sillonneraient la ville.
Le projet de "rue en fer" de l'ingénieur Kérizouët, en 1846, consiste ainsi en une voie recouverte de maisons d'habitation passant à travers 23 rues, également nommée par son auteur, une "Tamise de fer ". L'ingénieur imagine la possibilité de relier les lignes de chemins de fer existantes à ce tronçon initial.
L'extension croissante de la ville de Paris trouverait ainsi une sorte de compensation dans l'établissement d'un véritable omnibus circulant du centre à la circonférence, à très bas prix avec une vitesse régulière et un nombre de places illimité.
En 1855, les ingénieurs Edouard Brame (1818-1888), Eugène Flachat (1802-1873) exposent également un projet, que commente la revue Les Nouvelles annales de la construction, consistant à relier les nouvelles Halles alors encore en construction. Quatre voies sont prévues, comme le montre la planche ci-dessous, accompagnées de toutes les nouvelles innovations qui commencent à équiper la capitale : conduites de gaz, d'eau, d'égouts, de télégraphes électriques.
Profil du chemin de fer des Halles, par Brame, Flachat
Les ingénieurs ont en tête les modèles londoniens ou américains. Le métro de Londres, dont les travaux débutent en 1855, est souterrain, à une faible profondeur (de 6 à 12 mètres), ce qui permet à deux lignes de se croiser l'une en-dessous de l'autre. Les locomotives sont à vapeur mais fonctionnent dans les tunnels selon le principe de la "chaudière sans foyer", la fumée habituellement crachée par la cheminée de la locomotive est dirigée vers l'eau contenue dans le tender.
Aux Etats-Unis, une première ligne aérienne est mise en place à New-York en 1866 mais le réseau aérien n'est véritablement construit qu'à partir de 1875. Berlin se dote également d'un métro aérien à traction électrique en 1882, qui parcourt la ville sur des viaducs comme celui d'Alexanderplatz.
Le métro de New-York, Le Génie Civil, 1884
Cependant, à Paris, ces projets restent sans suite : les aménagements urbains du préfet Haussmann, qui fait percer des grands boulevards facilitant la circulation, la guerre de 1870 et le développement d'un nouveau mode de transport en commun, le tramway, à partir de 1873 repoussent l'urgence d'un chemin de fer urbain.
L'aérien ou le souterrain ?
Le Conseil général de la Seine réactive pourtant à partir de 1871 l'idée d'un chemin de fer urbain. Une commission présidée par Alphand est même chargée d'examiner le métro de Londres pour s'en inspirer. De nouveaux projets sont alors proposés qui reposent tous sur l'idée d'un raccordement au réseau de chemin de fer existant. Ce principe d'interconnexion semble assuré. Louis Figuier écrit ainsi :
Le chemin de fer parisien doit pouvoir se souder sans interruption aux lignes générales du réseau français.
Les projets des ingénieurs Le Hir, Le Masson, Vauthier, Guerbigny donnent même lieu en 1872 à une première concession pour deux lignes de chemin de fer mais qui ne trouve pas preneur. Les ingénieurs doivent de nouveau imaginer d'autres propositions, sur la base des tracés prioritaires définis par la commission et certains d'entre eux optent pour un chemin fer urbain aérien.
Cinq projets sont emblématiques de ce choix : le projet de Charles Tellier (1828-1913), "le véritable métropolitain", remanié en 1891, ceux de l'architecte Louis Heuzé, de Jean Chrétien (1834-19.), de Jules Garnier (1839-1904) et de l'ingénieur Auguste Angely.
Sur toute la longueur de la Seine, dans son axe et dans toute la traversée de Paris serait établie à six mètres au-dessus des ponts une quadruple voie ferrée. Cette installation serait formée par un immense viaduc à treillis (...)
L' objectif de Charles Tellier est de conserver l'aspect animé de Paris et de ne "nuire à aucun des nombreux intérêts commerciaux existant". Le recours au souterrain est exclu puisqu'il prélève des flux de visiteurs depuis la surface et la construction ne doit pas non plus s'accompagner d'un arrêt de la circulation : la solution est la création d'une ligne aérienne circulant sur la Seine, raccordée aux gares de chemins de fer et aux lignes de bateaux-omnibus.
Le viaduc sur la Seine de CharlesTellier, 1891
Jean Chrétien, qui fait une demande de concession afin de réaliser un chemin de fer urbain aérien et électrique sur les boulevards Voltaire, de Magenta, Richard-Lenoir, de la Contrescarpe et le pont d'Austerlitz, imagine utiliser les boulevards et routes existantes pour le tracé de sa ligne aérienne, ponctuées par des stations tous les 300 à 350 mètres accessibles par escaliers. L'innovation réside surtout dans le mode de traction, entièrement électrique, prévu par l'ingénieur.
Ces projets ont leurs détracteurs. Les viaducs métalliques installés sur les grands boulevards, masquant les perspectives des grands monuments comme l'Opéra et la dépréciation possible des quartiers traversés suscitent de vives critiques que Louis Figuier rejette en commentant une gravure du chemin de fer devant l'Opéra : "On peut voir que l'effet produit n'a rien de désagréable à l'oeil. Si on s'éloigne d'avantage, le viaduc qui est d'une extrême légèreté perd encore de son importance relative et n'apparaît que comme un filet qui ne peut nuire en aucune façon à l'effet général".
Le projet de Jules Garnier, qui date de 1884, propose un tracé aérien avec deux voies de chemin de fer superposées, l'une pour l'aller et l'autre pour le retour, installées sur un viaduc étroit au milieu des rues et boulevards existants.
Enfin, un dernier projet affiche son originalité, celui d'un chemin de fer à voie suspendue d'Auguste Angély, en 1884. La structure du pont est une armature métallique composée de colonnes reliées au tablier par des câbles obliques, les wagons sont suspendus et le mode de traction peut se faire soit par locomotive, soit par moteur électrique ou par câble télodynamique, deux brins desservant l'aller et le retour. Le Génie civil qui analyse le projet conclue qu'en dehors de son application au service métropolitain, ce chemin de fer suspendu pourrait être utile "dans les pays de montagne (…) desservir les villes d'eau ou les localités éloignées des chemins de fer."
Auguste Angély, Chemin de fer à voie suspendue, 1884
Conflit Ville de Paris et Etat
Une modification légale a cependant changé le contexte : la loi du 11 juin 1880 sur les chemins de fer d'intérêt local transfère aux départements ou communes la compétence d'initier des projets pour la desserte des villes. Au nom de cette nouvelle disposition, la municipalité de Paris reprend le dossier du chemin de fer urbain et accepte le projet de demande de concession de Frédéric Soulié en 1883 pour six lignes, à la fois transversales, reliant les principales gares, les Halles et le chemin de fer de ceinture, en un tracé à la fois aérien et souterrain mu par la traction à vapeur. Mais le Conseil d'Etat, pour qui l'accès à la capitale est d'intérêt national, repousse le projet.
Avec ce rejet, la situation se tend entre la Ville et l'Etat : la qualification d'intérêt local ou général qui est en jeu détermine l'autorité compétente pour la gestion du réseau, la prise en charge des travaux et l'attribution des concessions, les grandes compagnies de chemins de fer étant, par exemple, intéressées par un réseau national. Ces oppositions se traduisent techniquement par deux choix opposés : celui de la ville de Paris se portant sur un réseau à petit gabarit restant dans le périmètre urbain de Paris et ne pouvant pas être raccordé aux lignes de chemin de fer existantes et celui de l'Etat souhaitant un réseau de chemin de fer interconnecté qui desserve la banlieue, pénètre au cœur de la capitale et relie les principales gares entre elles.
Trois projets symbolisent cette opposition mais aussi l'accord parfois possible entre les deux parties : le projet de Paul Haag (1843-1911), repoussé par la Ville et l'Etat, le projet de la société Eiffel qui répond à l'objectif gouvernemental et le projet de Jean-Baptiste Berlier soutenu par la municipalité.
Projet Haag. Bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris
Paul Haag présente en 1883 son projet de lignes circulaires, en viaduc, reliant les gares de Lyon et Saint-Lazare et permettant un raccordement avec les lignes de chemin de fer. Le projet est rejetté car il signifierait des chantiers trop importants sur les grandes artères concernées par l'implantation des viaducs, ce que ne souhaitent ni la Ville, ni l'Etat. Il reprend néanmoins l'idée d'une desserte des grandes gares et inspire une nouvelle proposition du Ministre des Travaux publics, Charles Baïhaut. Gustave Eiffel (1832-1923) fort de son expérience de constructeur de viaducs et de ponts mais également du succès de la Tour de 300 mètres érigée pour l'exposition universelle de 1889, propose dès 1890, un réseau de chemin de fer urbain, à grand gabarit se raccordant aux lignes existantes. Il s'agit "d'une ceinture intérieure, souterraine, desservant les grands boulevards" comme le présente la Science illustrée en 1891.
Au contraire, le projet de Jean-Baptiste Berlier (1843-1911) déposé en 1887 et soutenu par la Ville n'est plus un réseau de chemin de fer mais un "tramway tubulaire", indépendant, à traction électrique. Le parcours souterrain de 11 kilomètres, que détaille Le Musée des familles, doit desservir 17 stations entre le bois de Vincennes et le bois de Boulogne en passant par Bastille, Le Louvre et la place de la Concorde. Le projet dont l'examen est plusieurs fois ajourné franchit les étapes jusqu'à l'enquête d'utilité publique en 1891 avant d'en rester là.
Le tramway tubulaire, Le Monde illustré, 1894
La perspective de l'Exposition universelle de 1900 accélère le dénouement du conflit. Le 22 novembre 1895, l'Etat reconnaît à la ville de Paris autorité pour établir un chemin de fer urbain d'intérêt local. Les travaux d'infrastructures qui commencent en 1898 sont réalisés par la Ville sous la direction de Fulgence Bienvenüe (1852-1936), la concession pour l'exploitation des lignes est accordée à la Compagnie générale de traction du baron Empain qui devient Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris.
Côté technique, l'écartement des rails sera finalement identique à celui des trains mais avec un gabarit de wagons et de souterrains plus étroits, la traction, enfin, est électrique. La réalisation du métro devient prioritaire pour accueillir les visiteurs de l'Exposition universelle : la construction de 6 lignes est déclarée d'utilité publique en 1898.
Tramway tubulaire, finalement très proche du projet final du métro parisien.
Pour aller plus loin
Retrouvez d’autres ouvrages sur le métro sur la page transports en commun du parcours dédié au transport de passagers.
A consulter également sur le site de la RATP la page consacrée à Fulgence Bienvenüe.
Gallica part en live : les 120 ans du métro parisien
Ajouter un commentaire