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Le Psautier de Genève

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15 octobre 2020

La bibliothèque Sainte-Geneviève consacre à la musique une exposition à travers ses collections. Parmi les œuvres mises à l’honneur : le Psautier de Genève. Ce recueil de cent cinquante poèmes religieux, chantés dès le 16e siècle, a uni autour de lui, mobilisé et édifié, pour créer une identité protestante.

Les Pseaumes mis en rime francoise, Clement Marot, Theodore de Beze.

Le Psautier de Genève rassemble cent cinquante poèmes, attribués au roi David, dont les traductions ont été versifiées en français par Clément Marot (1496-1544) et Théodore de Bèze (1519-1605). Chantées seul ou en assemblée, à la maison et au culte, aux champs comme à la guerre ou sur les chemins de l’exil, ces prières ont uni les protestants et affermi leur identité.
Lorsqu’en 1533, Clément Marot commence à paraphraser les psaumes, les traduisant de l’hébreu, et à les versifier, sa réputation est déjà faite : il est un poète lu et apprécié à la cour, protégé par François Ier. Il n’est pas le premier à obtenir le privilège de faire paraître des textes sacrés en français : avant lui, Jacques Lefèvre d’Étaples (v. 1455-1537), théologien et humaniste, traduit en 1523 le Nouveau Testament à partir de la Vulgate. Mais l’enthousiasme pour les traductions de la Bible dans les langues vernaculaires favorise la diffusion des idées de Luther. Aussi Lefèvre est-il inquiété par l’université de Théologie, condamné par le Parlement de Paris, et son livre est brûlé ; il doit la vie au roi et s’installe à Strasbourg pour poursuivre son œuvre. 
C’est dans ce contexte de débats, où les frontières confessionnelles sont encore floues et la prudence de mise, que Marot traduit les psaumes, d’abord pour plaire, la motivation étant mondaine, et ce, même si le poète a le souci de rester fidèle au sens des textes originaux. Car on fredonne ces prières sur des airs alors en vogue, sans convoquer une quelconque appartenance religieuse. La démarche n’est toutefois sans doute pas innocente, et les tensions s’exacerbant après l’affaire des placards en 1534, Marot quitte la cour pour l’étranger. Vers 1542, il est à Genève où Jean Calvin (1509-1564) l’incite à poursuivre les versifications. Il décède en 1544, après avoir traduit 49 psaumes.
En 1539, à Strasbourg, Calvin écoute les psaumes en allemand. Il publie Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant comprenant 13 psaumes versifiés en français par Marot et 6 par ses soins, accompagnés de mélodies. D’autres recueils suivront. Dans la préface du Psautier de 1543, il précise : "Et à la vérité, nous connaissons par expérience que le chant a grande force et vigueur d’esmouvoir et enflamber le cœur des hommes, pour invoquer et louer Dieu d’un zèle plus véhément et ardent".

Les traductions de Marot ne servent plus à plaire, elles édifient : "Nous ne trouverons meilleures chansons (…) que les Psaumes de David, lesquels le Saint-Esprit lui a dictées et faites. Et pour cette raison, quand nous les chantons, nous sommes certains que Dieu nous met en la bouche les paroles, comme si Lui-même chantait en nous, pour exalter sa gloire". À la demande de Calvin, Théodore de Bèze achève l’œuvre de Marot, en traduisant les 101 psaumes restants.
L’édition de 1562 publiée à Genève comprend ainsi 150 psaumes et prend par une diffusion de grande ampleur le statut de recueil officiel. Il connaîtra nombre de rééditions et des variantes. Les mélodies, arrangées par trois chantres de l’Église de Genève – Guillaume Franc, Loys Bourgeois et Pierre Davantès –, sont faites de compositions originales et surtout d’emprunts aux répertoires profanes et catholiques connus des fidèles. Par exemple, sur l’air de la chanson à succès écrite par Marot "Quand vous voudrez faire une amye", le psaume 138 devient : "Il faut que de tous mes esprits".

Les psaumes favorisent la diffusion de la Réforme, portés par des airs connus et à partir de textes traduits en langue vulgaire, faciles à chanter et à mémoriser. L’assemblée chantant au temple dans sa langue se démarque ainsi des catholiques et des cérémonies en latin ("S. Paul ne defendroit pas si rigoureusement de parler en langue incongnue", Epistre de l’édition de 1562). La piété ainsi véhiculée, on chante aussi dans la rue, les champs, les commerces, comme le désirait Marot, dans son épître dédicatoire aux Cinquante Pseaumes, en 1543 :

O bien heureux, qui voir pourra
Fleurir le temps, que l’on ouïra
Le Laboureur à sa charrue,
(…)
Et l’Artisan en sa boutique,
Avecques un Psaume, ou Cantique,
En son labeur se soulager.

 
On chante encore au combat et sur les chemins de l’exil. Chanter en tout lieu et à tout moment Les Pseaumes mis en rime francoise, confondus avec l’identité protestante, est perçu comme un manquement à l’Édit de Nantes. De sa révocation en 1685 jusqu’en 1787, l’impression du Psautier de Genève est interdite en France. Toutefois, dans les pays où les protestants ont trouvé refuge, il continue à être imprimé, traduit et commenté.
 

Eddy Noblet
chargé de collections à la bibliothèque Sainte-Geneviève

 

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  • Eddy Noblet

    Chargé de collections à la bibliothèque Sainte-Geneviève

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