Choisissant le plus souvent, après 1845, la fréquence et le contenu de ses contributions, il utilise la presse de la Monarchie de Juillet finissante puis du Second Empire comme un laboratoire qui lui permet d’affirmer son art poétique. Il accompagne dans le même temps les évolutions de ce support médiatique au milieu du XIXe siècle.
Baudelaire par Nadar
Le jeune Charles Baudelaire, dandy parisien oscillant entre l’extravagance – notamment vestimentaire - et le goût de l’original, voire du bizarre, fait ses débuts de journaliste vers 1841, dans un titre emblématique de la petite presse littéraire qui abonde dans les dernières années de la Monarchie de Juillet : Le Corsaire. Renommé Le Corsaire-Satan entre 1844 et 1847 et dirigé par Lepoitevin Saint-Alme, ce journal traite, en plus de la littérature, de l’actualité des spectacles, des arts, de la mode et des mœurs en adoptant fréquemment un ton ironique et impertinent. Les plaisanteries allusives, lorsqu’elles concernent le pouvoir politique, évitent ainsi de tomber sous le coup de la censure.
Corsaire-Satan du 7 septembre 1844
L’état d’esprit régnant dans la rédaction du Corsaire-Satan est résumé dans une série de quatre articles parus dans La Silhouette des 3 mai, 10 mai, 17 mai et 24 mai 1846.
« Quiconque veut entrer, s’asseoir prêt de la table, a droit au papier, à la plume et à l’encre. […] Tout le monde est donc admis à la lutte, quel que soit son drapeau littéraire, son opinion politique. »
L’apprenti-journaliste passe volontiers d’une rédaction à l’autre au gré de ses publications. Il signe parfois Baudelaire Dufays et publie notamment « A une créole » dans L’Artiste du 25 mai 1845, premier poème qui figurera, remanié, dans Les Fleurs du Mal (édition 1857) sous le titre : « A une dame créole ». Un sonnet burlesque signé Antonius Pingouin paraît le 1er juin 1845 dans La Silhouette.
L’ambiance particulière du petit milieu journalistique et littéraire parisien, faite de camaraderie et d’inimitié plus ou moins passagère, se retrouve dans ses Considérations aux jeunes littérateurs parues dans L’Esprit public du 15 avril 1846. Le ton, tour à tour ironique et sentencieux, est caractéristique de l’écriture journalistique baudelairienne. Derrière le dandy, un véritable artiste déploie sa pensée sincère et réfléchie, notamment sur l’art de l’écriture dans la partie intitulée « Du travail journalier et de l’inspiration » :
«Si l’on veut vivre dans une contemplation opiniâtre de l’œuvre de demain, le travail journalier servira l’inspiration, - comme une écriture lisible sert à éclairer la pensée, et comme la pensée calme et puissante sert à écrire lisiblement ; car le temps des mauvaises écritures est passé.»
L’expérience éphémère du Salut public
Les journées révolutionnaires de février 1848, qui aboutissent à la chute de la Monarchie de Juillet, à l’exil de Louis-Philippe et à la proclamation de la Deuxième République, sont l’occasion pour Baudelaire de participer à ces instants historiques en créant notamment, avec ses amis Champfleury et Toubin, Le Salut public, journal éphémère de deux numéros, datés des 27 février et probablement 1er mars 1848.
Le Salut public, 1848
La participation de chacun des rédacteurs n’est pas clairement établie, les articles n’étant pas signés. Toutefois, on peut mesurer l’engagement et le soutien républicain de Baudelaire au ton sans ambiguïté de la plupart des articles. Dans celui qui ouvre le premier numéro, et qui s’intitule «Vive la République », on peut ainsi lire :
« Mais que le Peuple sache bien ceci, que le meilleur remède aux conspirations de tout genre est la foi absolue en la République… »
L’échec de la révolution de juin 1848 va détourner définitivement Baudelaire de l’engagement politique, tout du moins dans la sphère publique représentée par la presse. Le Salut public demeure donc, à ce titre, exceptionnel.
Les débuts de Baudelaire traducteur de Poe
Le 15 juin 1848, « Révélation magnétique », une nouvelle d’Edgar Allan Poe traduite par Baudelaire et qui paraîtra dans le recueil des Histoires extraordinaires en 1856, est publiée par La liberté de penser, revue philosophique et littéraire.
Portrait d’Edgar A. Poe par Edouard Manet
Dirigée par Jules Simon et Amédée Jacques, elle fait partie de ces revues savantes destinées à un public cultivé. Apparues depuis la Restauration, elles traitent de questions touchant aussi bien l’histoire que la politique, la philosophie etc… . La tendance anticléricale de la revue explique l’intérêt porté à cette nouvelle qui remet en cause la nature divine de Dieu. Elle est précédée d’un texte de présentation du traducteur, qui confirme la valeur et l’intérêt qu’il accorde à l’écrivain américain, et le souci principal qui a guidé sa traduction :
« Il faut surtout bien s’attacher à suivre le texte littéral. Certaines choses seraient devenues bien autrement obscures, si j’avais voulu paraphraser mon auteur, au lieu de me tenir servilement attaché à la lettre. J’ai préféré faire du français pénible et parfois baroque, et donner dans toute sa vérité la technie philosophique d’Edgar Poe. »
Les traductions se succèdent ensuite de façon très soutenue, notamment de 1852 à 1855 dans des titres tels que La Revue de Paris, ou Le Pays. Elles ne sont pas étrangères à la renommée grandissante de celui qui prépare la sortie de son recueil poétique qui l’installera définitivement sur la scène médiatique et littéraire.
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