À la mi-octobre 1918, il est question des moyens attribués par le Conseil de guerre à la Croix-Rouge, et du recrutement immédiat de 600 infirmières pour contrer l’expansion du virus. Le 26, seuls cinq États semblent encore épargnés. Commerces, bars, églises et théâtres sont fermés dans de nombreuses villes. On apprend qu’un vaccin contre la pneumonie a été testé sur 10 000 soldats, avec succès. Le 3 novembre, on craint, à terme, qu’un quart de la population ne soit contaminée. Le 24 décembre, le port du masque vient d’être rendu obligatoire dans deux villes, Marion (Illinois) et Aberdeen (Washington), et le 6 janvier 1919, on dénombre 400 000 victimes dans le pays, principalement en ville. Est souligné, par ailleurs, le nombre inhabituellement élevé de décès, dans la classe d’âge des 30-45 ans. Remarquons aussi que les élections de mi-mandat sont maintenues au plus fort de l’épidémie, dont la gestion ne semble pas avoir constitué un enjeu du vote.
Le président Wilson lui-même est frappé par la grippe au mois d’avril 1919, pendant les négociations de paix. Selon
The Chicago tribune and the Daily news, New York, il aurait eu une légère attaque d’influenza, dans la nuit des 3 au 4 avril, accompagnée de fièvre. Les numéros suivants du quotidien transmettent des nouvelles rassurantes du chef d’État. Son médecin lui conseille de « garder le lit ». Il ne peut donc assister à la « réunion des
quatre », et doit se faire représenter par son proche conseiller,
le Colonel House. Qu’à cela ne tienne, les réunions ont alors lieu, non au ministère de la Guerre, mais à «
Paris White House », à proximité des appartements du président américain, qui peut être consulté sur les questions importantes. Dans
le numéro du 7 avril, le bulletin médical est encourageant : Wilson se porte mieux, a pu s’asseoir et s’entretenir avec ses conseillers. Son retour à la table des négociations est même envisagé dès le 7 avril. L’état de santé du président sans doute plus critique que ces nouvelles ne le laissaient paraître, minimisé de crainte d’une remise en question de sa place au sein des négociations de paix, n’a peut-être pas été sans conséquences sur leur poursuite en affaiblissant durablement Wilson,
selon des études postérieures.
La face sombre de la présidence Wilson : lois ségrégationnistes « Jim Crow », renaissance du Ku Klux Klan, violence à l’égard des Afro-Américains, anticommunisme
Après la guerre de Sécession,
les XIIIe (1865), XIVe (1868) et XVe (1870) amendements de la Constitution abolissaient l’esclavage, protégeaient le droit des anciens esclaves, en garantissant la citoyenneté à toute personne née aux États-Unis, et en interdisant aux États d’édicter des lois restreignant les privilèges liés à la citoyenneté, y compris le droit de vote, ou de refuser à un de leurs administrés l’égale protection des lois. Pourtant, toute une série de règlements nationaux et locaux, désignés sous l’expression de «
lois « Jim Crow » », sont pris dans les États du Sud surtout, à partir de la fin du XIX
e siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant, pour mettre en place un système ségrégationniste. Des « colored districts » se constituent aussi dans les villes industrielles du Nord, qui connaissent une
augmentation de la population noire, au début du XX
e siècle. Or, le président Wilson et son cabinet à majorité sudiste sont favorables à ce type de législation et installent la ségrégation au sein de l’administration gouvernementale.
En 1915, sort le film « The birth of a nation » (La naissance d’une Nation) de D.W. Griffith, adaptation du roman de Thomas Dixon, The clansman (1905). Il traite de la naissance du Ku Klux Klan, après la guerre de Sécession, dans les États du Sud, pour empêcher l’application des droits constitutionnels des Afro-Américains. Thomas Dixon étant un ami de T. W. Wilson, le film est projeté à la Maison-Blanche. Il cite, par ailleurs, des extraits de l’ouvrage du président, A History of the American people (1902). Or, il provoque la reviviscence du racisme dans le Sud, et la renaissance du Ku Klux Klan, fin 1915. Le gouvernement démocrate est suspecté de connivence avec la société secrète.
Les Afro-Américains s’organisent pour faire valoir leurs droits, à l’image de W.E.B. Du Bois, écrivain et fondateur, dès 1909, de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). En octobre 1917, un congrès des associations de défense des droits des Noirs appelle à la fin de la discrimination et de la ségrégation, et demande au président d’intervenir auprès du Congrès pour que le lynchage devienne un crime fédéral. Aucune législation en la matière ne sera obtenue sous la présidence Wilson. Si les États condamnent progressivement le lynchage, il faut attendre 2020 pour qu’il soit reconnu crime fédéral. En 1919, année de démobilisation, les violences à l’égard des Afro-Américains sont particulièrement nombreuses. Des émeutes raciales, consécutives à la mort d’un jeune Noir, émaillent l’été 1919, à Washington, puis à Chicago, faisant plusieurs dizaines de victimes. Un comité législatif chargé d’enquêter sur les activités séditieuses dans l’État de New York, la commission Lusk, met en cause l’Industrial Workers of the World, une organisation syndicale, dont la propagande serait financée par les bolcheviks et aurait attisé les haines raciales : l’anticommunisme en vigueur depuis la Révolution d’octobre 1917 s’invitait dans les luttes raciales. Le visage qu’offraient les États-Unis à cette époque était loin d’être toujours avenant.