Maria Vérone, première voix du féminisme
Témoignage unique, le plaidoyer de Maria Vérone nous projette au cœur des combats féministes des années 1930. L'enregistrement sonore de ce texte vient d'être numérisé et est désormais disponible dans Gallica.
Maître Maria Vérone parle du féminisme, disque 78 tours, Polydor 1933 ;
Maria Vérone. Agence Mondial, 1933
Avocate célèbre et militante féministe, Maître Vérone enregistre à près de 60 ans une conférence où elle retrace l’origine de l’idée d’égalité hommes femmes, l’avancée des combats féministes et le chemin à parcourir.
C’est le premier disque enregistré par une féministe dans les collections de la BnF, hormis celui de Margery Corbett-Ashby. Ce dernier, enregistré à l’occasion du 10e congrès international pour le suffrage des femmes en 1926, n’a jamais été diffusé et reste une archive. Ce n’est pas le cas de celui de Maria Vérone qui est signalé dans le catalogue Polydor de 1934, d’abord dans la catégorie « Dictions » et l’année suivante dans celle des « Discours historiques ».
Discours et politique
Vers 1925, le format du 78 tours reste court (4 mn par face) mais sa qualité sonore est transformée par l’enregistrement électrique et le micro. Mais le matériel de prise de son reste lourds et rend le direct difficile. Ainsi, les discours des hommes politiques de la Première Guerre mondiale ont été enregistrés par leurs auteurs dans les années 1920.
Le disque est une reconstitution, même si cela ne lui retire pas sa qualité documentaire. Il est utilisé dans l’entre-deux-guerres pour apprendre une langue ou écouter du théâtre ou une conférence scientifique mais il est aussi le seul témoignage sonore qui nous reste. Les archives radiophoniques ne sont réalisables de façon massive qu’après la seconde guerre mondiale, avec le perfectionnement des bandes magnétiques.
Dès 1925, cette qualité sonore en fait un objet de grande consommation et un emblème de modernité. Les amateurs constituent des discothèques qui, si on pouvait les recréer, permettraient d’accéder à leur univers sonore. Comme les postes radiophoniques qui commencent à émettre après la guerre (Radio Tour Eiffel, 1921), le disque pénètre dans les foyers. Il fait entrer le débat public dans la sphère privée et abolit les distances géographiques ou sociales.
La maison de demain in Radio magazine, 10/03/1929
Les potentialités de ces nouveaux médias sont immenses et vite repérées par la publicité. Les acteurs politiques s’en emparent, la radio sert à la propagande des régimes totalitaires. En France, les partis créent leurs marques de disque, Hébertot pour l’Action française, ERSA ou le Disque d’avant-garde pour la SFIO, Piatiletka pour le parti communiste… On y trouve des chansons, de la musique de films et bien sûr des discours et conférences.
Que dit Maria Vérone ?
« Le féminisme n’est pas […] un programme de revendications de quelques vieilles filles aigries dans le célibat et d’épouses acariâtres déçues par une union malheureuse ».
Elle cible les hommes qu’elle veut convaincre de façon rationnelle et argumentée, plutôt que les femmes comme avait voulu le faire Marguerite Durand. L’avocate aborde tous les aspects du féminisme qui a pour but « d’établir l’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines ». Il découle directement des principes de 1789. Elle cite Condorcet, Hugo, Jaurès.
L’oratrice insiste sur l’absence de droits des femmes mariées, considérées alors par le Code civil comme des quasi-mineures. Déjà en 1920, elle avait publié une brochure concise et claire, destinée aux femmes, où elle avait fait le tour de leur condition juridique.
Le char d’assaut des suffragistes, 1926,
Bibliothèque Marguerite Durand
Elle montre à quel point la France est en retard sur les autres pays européens et sur le reste du monde. La Grande Guerre y a conduit à une situation paradoxale. Elle a envoyé les femmes au travail où elles ont occupé quasiment tous les emplois. Mais l’hécatombe terminée, le pays est à repeupler d’où les mesures familialistes prônées par la gauche comme par la droite. Cette politique les renvoie vers le rôle de mère, idéologie qui culmine pendant la période vichyste.
Maria Vérone connait intimement cette contradiction. Elle a dû travailler jeune, divorcer, se remarier, avoir deux enfants et continuer sa carrière d’avocate tout en militant activement toute sa vie.
Quand elle enregistre ce disque, elle est présidente de la Ligue française pour le droit des femmes (LFDF) depuis 1919. Elle est connue du grand public comme « Madame Quand-même » pour s’être écriée « Vive la République, quand même ! » lorsqu’elle assiste, en novembre 1922 à un nouveau rejet du droit de vote des femmes par le Sénat.
Madame Quand-même, dessin de Barrère sur carte postale, 1920,
Bibliothèque historique de la Ville de Paris
Qui est Maria Vérone ?
C’est une républicaine et une socialiste. Fille d’un militant libre penseur et d’une ouvrière à domicile, elle donne des conférences dès 18 ans à la Fédération nationale de la libre pensée. Après la mort de son père, elle tente de devenir institutrice tout en travaillant avec sa mère.
Elle collabore au quotidien La Fronde, premier quotidien français écrit uniquement par des femmes. Elle suit des cours de droit mais n’obtient pas la bourse de doctorat réservée aux futurs électeurs.
En 1900, le barreau s’ouvre aux femmes. Elle devient avocate en 1907 et fera une belle carrière : son talent oratoire nous est d’ailleurs restitué par le disque de 1933. Malade, elle ne pourra accepter le secrétariat d’État qui lui sera proposé par le Front populaire.
Maria Vérone et Marie Bonnevial
sur le stand de la Ligue du droit des femmes (1913 ou 1914)
Bibliothèque Marguerite Durand
La gauche face au féminisme
Sous la IIIe République, le vote des femmes reste impossible à accepter. Les radicaux qui dominent le Sénat craignent que leur opinion soit plus conservatrice et influencée par l’église que celle des hommes, ainsi le Sénat rejette par quatre fois le suffrage féminin.
Le PCF, créé en 1920, veut quant à lui contrôler les féministes. Privilégiant la lutte des classes, il demande à ses adhérentes de démissionner des organisations non communistes comme la LFDF. Ceci conduit à la situation paradoxale de 1936 où trois femmes sont nommées secrétaires d’État alors que le droit de vote des femmes est à nouveau rejeté.
Affiche d’une conférence publique par Maria Vérone
sur le suffrage des femmes, 1920,
Bibliothèque Marguerite Durand
Toujours en 1936, Maria Vérone demande à la CGT et au gouvernement de faire appliquer l’égalité salariale mais elle n’est pas entendue. Devant cette résistance, le mouvement féministe multiplie les initiatives, manifestations de rue, meetings, et utilise les nouveaux médias. Il veut modifier le regard que les femmes ont sur elles-mêmes et s’attaquer à d’autres bastions du pouvoir masculin comme le Code Napoléon, profondément misogyne, et l’inégalité salariale. C’est un combat sur plusieurs fronts.
La Ligue pour le droit des femmes en campagne, 1932,
Maria Vérone (à droite) et Andrée Lehmann (à gauche)
Bibliothèque Marguerite Durand
Partisane de la loi de 1905 de séparation des église et de l’État et pacifiste, Maria Vérone se retrouve dans une position difficile car la gauche ne parvient pas à s’impliquer clairement pour les droits des femmes et ce depuis 1848. Son combat est indissociable de l’attitude de la France vis-à-vis des femmes, retard pour accepter l’égalité politique, salariale et supprimer l’inégalité des droits entre époux qui perdure jusqu’en 1966.
Maria Vérone meurt en 1938, à 65 ans, sans voir l’issue de son engagement. Cette voix qui résume le combat de toute une vie nous touche par sa dignité et son intelligence. Il faut réentendre Maria Vérone.
Sculpture de Maria Vérone,
Aleth Guzman-Nageotte, 1938,
Bibliothèque Marguerite Durand
Pour aller plus loin
- Le Breton, Jean-Louis, Maria Vérone : un destin féministe, 2021
- Tillier, Annick, dir. Des sources pour l'histoire des femmes, 2004
- Corpus Gallica Personnalités féministes
- Corpus Gallica La Voix des Femmes
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