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Les caricatures de Delacroix décryptées

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8 juillet 2021

​Célèbre pour ses grands tableaux, Eugène Delacroix (1798-1863) fut, dès l’âge de 17 ans, un caricaturiste plein d’humour et de mordant…Le blog de Gallica examine à la loupe dix de ses caricatures parues entre 1815 et 1822, pour aborder cet ensemble avec un oeil d'expert.

"Artistes dramatiques en voyage", estampe d'Eugène Delacroix, 1818

Parmi les estampes sur lesquelles s’ouvre le corpus de l’œuvre gravé d’Eugène Delacroix (1798-1863) au sein du département des Estampes et de la photographie de la BnF, se remarque une dizaine de caricatures au caractère insolite dont la connaissance demeure somme toute assez confidentielle.

Réalisées entre 1815 et 1822, dans les premières années de la Seconde Restauration, celles-ci offrent cependant l’avantage de pouvoir appréhender l’activité artistique du jeune graveur à l’aune de la réalité politique, sociale et culturelle d’alors.

Inaugure la série, une eau-forte pure aquarellée intitulée Troupes Anglaises - Le bagage de campagne. Déposée à la Direction de la Librairie et de l'Imprimerie le 28 octobre 1815, celle-ci constitue la première planche jamais publiée par Delacroix, alors tout juste âgé de 17 ans et demi.

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Si l’unique épreuve connue à ce jour de la lithographie aquarellée titrée Artistes Dramatiques en voyage est vierge de toute signature, elle s’orne en revanche de la date de 1818.  Déposée par l’éditeur Godefroy Engelmann (1788-1839) dans les derniers jours de janvier 1819 sous l’appellation de Charlatans en voyage, la planche aborde le thème familier de l’humble troupe de théâtre itinérante, tout autant bigarrée que burlesque.

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Loin d’être innocente, cette image prend tout son sens au regard du contexte culturel de la Restauration où se fait jour sur scène une opposition entre tenants d’un théâtre classique et partisans de formes nouvelles désireux de se délester des oripeaux d’antan. Il ne fait aucun doute que la troupe ici représentée incarne cette tradition désuète et moribonde raillée par la « génération romantique » à laquelle appartient le jeune graveur.

Avec La Consultation, Delacroix use des mêmes ressorts que précédemment en empruntant à la caricature un sujet maintes fois abordé par elle. L'intérêt de la planche imprimée par Charles Motte (1785-1836) réside toutefois dans le message qu'elle véhicule et que seul l'examen du contexte historico-politique dans lequel elle naît permet de décrypter. Que signifie en effet cette assemblée de médecins siégeant au chevet d'une personne alitée à proximité de laquelle veille la mort sagement assise ?

 En 1820, date de parution de la lithographie, le pays connaît le rétablissement de la censure, la restriction des libertés individuelles et de la presse, la montée des ultras, autant de faits préoccupants propres à stimuler la critique et à engager le graveur dans la recherche de la métaphore parlante. Le malade symbolise ainsi la France et les trois vieux médecins à la mise démodée, exhibant cannes et perruques - de travers pour l’un d’eux -, les légitimistes rêvant d’Ancien Régime, incapables de venir en aide à la nation souffrante ; seul semble être en mesure de pouvoir agir efficacement le jeune praticien dynamique à la chevelure romantique qui se voit à droite, incarnation des forces libérales en action.

Parmi les sectateurs du conservatisme, il est une figure archétypale de la Restauration, celle de l’académicien imbu de lui-même et de son titre de noblesse, à l’image de l’individu peu amène occupant la lithographie publiée sous le titre suivant : Un bonhomme de lettres en méditation.

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Copiée assez tôt par une main anonyme suite à la cassure de la pierre d’origine, cette composition semble avoir connu un certain succès auprès du lectorat libéral.

« Nous ne savons pas si le grand Opéra se vouera un peu plus au culte de Polymnie, dès qu’il sera installé dans son nouveau local ; mais, comme jusqu’à ce jour, il n’a guère voulu sacrifier qu’à Terpsicore (sic) ; nous le présentons appuyé sur ses ballets ». Tel est l’entrefilet paru dans Le Miroir du 26 juillet 1821 annonçant la caricature de Delacroix nommée Le grand Opéra, laquelle montre le danseur Angiolo Vestris (1730-1809) décédé douze ans auparavant, vêtu à l’antique et couronné de fleurs, exécutant un saut du haut d’une paire de balais (d’où le jeu de mot) faisant office de béquilles, assisté d’un violoniste en habit et perruque, lui-même perché sur un tonneau. Plus proche d’un impromptu circassien que de l’Opéra, cette scène dénonce l’excès d’une tradition académique accordant à la chorégraphie la primauté sur le chant.
 

Illustration de l’éternelle querelle entre classiques et modernes, la planche entre en résonance avec cette autre lithographie publiée dans Le Miroir du 13 août 1821 sous la dénomination de « Théâtre Italien ». Rigoureusement construite, celle-ci met en exergue le compositeur Rossini, alors en pleine ascension, tenant en équilibre les personnages d’Othello, de Rosine et de Figaro, interprétés respectivement, selon la tradition, par Garcia, madame Mainvielle-Fodor et Pellegrini.

« Voici pour le coup un dessin d’une hardiesse peu commune et d’une impertinence qui mérite correction affirme avec humour le billet du quotidien. Rossini soutenant à lui seul tout l’Opéra Italien !.. Quel blasphème ! ». S’il est ici un brin provocateur à l’endroit des tenants de « l’ancien régime musical », Delacroix n’en est pas moins cet amateur éclairé de musique en capacité de pouvoir juger de la modernité du prolifique Rossini.

Un différend entre les deux principaux périodiques légitimistes de l’époque est à l’origine de la planche intitulée Duel polémique entre dame Quotidienne et Messire le Journal de Paris.

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Tout autant incongru est le spectacle qui se découvre dans Les Écrevisses à Longchamp, lithographie imprimée par Motte et publiée dans Le Miroir du 4 avril 1822, ayant pour cadre la promenade de Longchamp, au Bois de Boulogne, en lisière de Paris.

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Rebroussons chemin à notre tour pour revenir à la date du 11 février 1822, jour de la publication par Le Miroir d’une planche de Delacroix célébrant Le Déménagement de la censure, du moins de façon officielle.  « Il était à-peu-près (sic) neuf heures du soir, dit le billet introduisant l’image, et nous allions, victimes obéissantes, soumettre à l’examen des bésicles censoriales nos malices inoffensives, lorsque nous rencontrâmes au détour du quai Voltaire […] un petit chariot traîné par un coursier à longues oreilles. Soit préoccupation d’esprit, soit illusion produite par l’obscurité qui dénature les objets et qui empêche de les voir tels qu’ils sont […] l’équipage grotesque s’offrit à nous tel que nous essayons de le retracer dans la lithographie que nous joignons à ce numéro ».

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Dans le droit fil des deux lithographies précédentes, Gare derrière !!!! s’impose comme une nouvelle attaque en règle de la censure, mais d’une interprétation moins aisée et assurément plus alambiquée que ses aînées. Ultime charge de Delacroix publiée par Le Miroir, le 30 mai 1822, celle-ci fait surgir au premier plan, en habit de garde national, De Monts-coupés (sic), fils de Croquemitaine et frère de Coupe-jarrets, comme le précise le journal, taillant rageusement le rocher à coups de sabre.
 

D’un nom proche par sa prononciation de De Mots coupés, ce dernier se révèle être en tout état de cause un agent aux ordres des anciens censeurs soi-disant dispersés, lesquels espionnent ses agissements dissimulés derrière la montagne en forme d’éteignoir. Le Miroir se montre d’ailleurs tout à fait explicite à son sujet en stipulant que « De Monts-coupés est aujourd’hui écuyer tranchant du prince Galaor », Galaor étant le surnom du comte d’Artois, le futur Charles X. Il convient de remarquer que la mise en situation des protagonistes au sein de la composition n’est pas sans questionner leur relation ; il est ainsi difficile de comprendre si les deux censeurs, maîtres théoriques du jeu, inspirent le soldat ou si, au contraire, ceux-ci sont effrayés par lui. Force est de constater que le gargantuesque sabreur semble être doté d’une incontrôlable énergie !

Pour aller plus loin

Page consacrée à Delacroix dans les sélections de Gallica
Les sélections "Estampe après 1800" dans Gallica
Dante et Virgile aux Enfers par Eugène Delacroix, billet du blog de Gallica
Le manuscrit du Journal de Delacroix
Edition imprimée du Journal de Delacroix
Catalogue de l'exposition Eugène Delacroix : peintures, aquarelles, pastels, dessins, gravures, documents : [Musée du Louvre], juin-juillet 1930,
A. Robaut, L'OEuvre complet de Eugène Delacroix : peintures, dessins, gravures, lithographies, 1885.
 

Voir aussi

Dans l'intimité d'Eugène Delacroix sur le site de la bibliothèque de l'INHA

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