L’invention de l’imprimerie et le perfectionnement des techniques de gravure ont permis la diffusion croissante de livres imprimés illustrés à partir du XVe siècle, en particulier dans le domaine des sciences. Aujourd’hui, beaucoup de publications sont en couleurs ; on utilise généralement l’impression offset, en quadrichromie. Mais jusqu’au XIXe siècle et l’invention de techniques spécifiques comme la chromolithographie - qui restait alors encore assez difficile à mettre en œuvre - la mise en couleurs requérait beaucoup de temps et de dextérité, ce qui engendrait des coûts de fabrication importants.
Si on utilisait couramment la gravure (sur bois, sur métal ou sur pierre) pour les illustrations des livres imprimés, on avait plus rarement recours à cette technique pour les mettre en couleurs. En effet cela nécessite la préparation d’une plaque différente pour chaque couleur, et ce pour chaque illustration. La réalisation elle-même est délicate pour parvenir à superposer parfaitement les plaques au moment de la presse. Il était souvent plus rapide et plus économique de faire appel à des spécialistes, qui réalisaient la mise en couleurs à la main en suivant des modèles.
En plus de l’agrément visuel, l’apport de la couleur est particulièrement profitable dans le domaine des sciences. Nous vous proposons dans l’édition 2022 de notre cahier de coloriage des illustrations dont nous conservons à la fois des versions en noir et blanc et aussi rehaussées de couleurs.
La Dissection des parties du corps humain de Charles Estienne (1504-1564)
La Dissection des parties du corps humain divisée en trois livres, 1546, version en noir et blanc et Dissectione partium corporis humani libri tres, 1545, version en couleurs
Charles Estienne est issu d’une grande famille d’imprimeurs et exercera lui-même cette activité, mais il est également médecin et auteur d’un ambitieux ouvrage d’anatomie, qui paraît peu après le fameux De humani corporis fabrica libri septem d’André Vésale, publié en 1543. Les planches de l’ouvrage d’Estienne paraissent moins révolutionnaires que celles de Vésale, mais leur mise en œuvre a commencé dans les années 1530. Une dispute autour des droits d’auteur réclamés par Étienne de La Rivière, chargé des dissections, conduit à un procès et retarde la publication. De Dissectione partium corporis humani libri tres paraît finalement en 1545 dans une belle édition in-folio, comprenant une soixantaine de gravures pleine page.
Nous conservons plusieurs exemplaires de cette édition originale en latin, dont un exemplaire sur vélin entièrement rehaussé de couleurs, dans l’esprit des manuscrits enluminés. L’exécution n’est bien sûr pas aussi fine car il s’agit de colorier des illustrations déjà existantes, mais la technique est très soignée et la qualité du papier et des pigments a permis de conserver la fraîcheur des coloris. Au fil des planches, squelettes et écorchés vaquent à leurs occupations ou s’alanguissent, boyaux à l’air, dans des poses inspirées d’œuvres contemporaines. La version française paraît l’année suivante, en 1546, sous le titre de La Dissection des parties du corps humain divisée en trois livres, accompagnée des mêmes gravures en noir et blanc.
La Nature et diversité des poissons de Pierre Belon (1518-1564)
La Nature et diversité des poissons, 1555, version coloriée
La mise en couleurs ne concernait pas uniquement des éditions de luxe. Les imprimeurs pouvaient proposer des versions en couleurs relativement accessibles, mais cela passait par une mise en œuvre plus sommaire, avec des aplats rapidement appliqués, parfois à l’aide de pochoirs, et un nombre limité de couleurs. L’Histoire naturelle des estranges poissons marins de Pierre Belon paraît en 1551, accompagnée de bois gravés en noir et blanc représentant différentes espèces marines. Ces gravures sont intégrées en 1555 dans l’ouvrage de plus grande ampleur La Nature et diversité des poissons, dont nous conservons un exemplaire entièrement mis en couleurs. Cela ajoute un attrait supplémentaire mais il n’est pas question ici de rendu réaliste. La production s’envisage en série, même si à l’époque le nombre d’exemplaires reste limité. La plupart des illustrations sont colorées avec une ou deux teintes seulement, à de rares exceptions près, comme pour la planche représentant l’hippopotame.
Description des plantes de l’Amérique de Charles Plumier (1646-1704)
Description des plantes de l’Amérique, 1693, version en noir et blanc et version en couleurs
Charles Plumier publie en 1693 une Description des plantes de l’Amérique. L’ouvrage est illustré de 108 planches en noir et blanc, dont la précision permet déjà de prendre une bonne mesure de la flore observée. La mise en couleurs des planches apporte d’utiles indications, mais en cette fin du XVIIe siècle, l’usage est loin d’être systématique. Ce rare exemplaire avec l’ensemble des planches minutieusement rehaussées à l’aquarelle provient de la collection de Michel Bégon (1638-1710), administrateur de la Marine royale et grand collectionneur. Cette origine justifierait à elle seule le soin apporté à la réalisation mais Michel Bégon a une raison supplémentaire de s’intéresser à la Description des plantes de l’Amérique. Il fut en effet chargé par Louis XIV d’organiser un voyage d’exploration aux Amériques. Il nomme Joseph-Donat Surian à la tête de l’expédition, lequel demande à Charles Plumier, botaniste et habile dessinateur, de l’accompagner pour étudier la flore locale. Charles Plumier participera ensuite à plusieurs autres voyages et caractérisera diverses espèces végétales, dont une découverte aux Antilles, nommée bégonia en l’honneur de Michel Bégon !
Les travaux issus de cette entreprise ne pouvaient donc figurer qu’en bonne place dans la bibliothèque de Michel Bégon. La mise en couleurs la plus magistrale est celle de la vue d’ensemble d’un paysage d’Amérique mais les autres planches ne sont pas en reste. On peut par exemple observer sur la planche de l’Apocynum scandens, flore nerij, albo de délicates touches de rose sur les bourgeons et la base des corolles, plusieurs nuances de vert et des ombrés subtils sur les fleurs et les feuilles. La restitution fidèle des couleurs vise à rendre compte au mieux des particularités de la plante.
Histoire naturelle, générale et particulière de Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788)
Histoire naturelle, générale et particulière, 1749-1804, version en noir et blanc et Collection des animaux quadrupèdes de Buffon, version en couleurs
L’Histoire naturelle, générale et particulière de Georges-Louis Leclerc de Buffon reste à juste titre un ouvrage incontournable pour l’histoire des sciences de la nature. L’édition originale comprend 36 volumes, dont 35 publiés du vivant de Buffon, illustrés de nombreuses gravures en noir et blanc. Étienne de Lacepède continue l’œuvre après la mort de Buffon avec 8 volumes supplémentaires. Au total, l’ensemble complet est donc constitué de 44 volumes publiés entre 1749 et 1804. Parmi les illustrations, les plus connues sont les planches pleine page représentant les animaux au naturel mais l’ouvrage comporte également de multiples planches anatomiques : vues d’écorchés, squelettes, organes isolés… Le coût de la mise en couleurs de l’ensemble des planches de cette édition serait considérable !
Aussi, à côté de la publication au long cours des volumes de l’édition de 1749-1804 de l’Histoire naturelle, d’autres déclinaisons voient le jour. Une édition de luxe de l’Histoire des oiseaux est publiée en 10 volumes entre 1770 et 1786, avec les gravures de François-Nicolas Martinet superbement mises en couleurs. Les couleurs ont ici un rôle important pour faciliter l’identification des espèces d’oiseaux. Les planches peuvent aussi avoir une vie autonome détachée des textes, avec des recueils s’adressant aux amateurs de sciences, mais aussi d’art. Cette Collection des animaux quadrupèdes de Buffon en deux volumes rassemble les versions coloriées de 362 planches des animaux quadrupèdes par Jacques de Sève, représentés dans leur environnement naturel ou dans des paysages agrémentés de morceaux d’architecture. Les connaisseurs se délectent aussi bien de l’observation d’espèces connues ou plus exotiques que de la beauté et la précision des gravures rehaussées de couleurs.
Le Florilegium d'Emanuel Sweerts (1552-1612)
Florilegium Emanuelis Swertii,... tractans de variis floribus et aliis indicis plantis, 1612, planches partiellement coloriées de violettes et fraisiers et de tulipes
Il n’est pas toujours possible de retracer l’historique d’un exemplaire, passé par divers propriétaires depuis sa mise en circulation. La couleur est longtemps restée optionnelle, parfois proposée par l’éditeur, parfois objet d’une commande particulière par un amateur aisé. Dans cet exemplaire du Florilegium du Néerlandais Emanuel Sweerts, publié en 1612, une dizaine de planches seulement a été coloriée, parfois partiellement : cette planche d’anémones a été entièrement mise en couleurs mais sur cette autre planche, seules deux variétés de violette et de fraisier ont été retouchées par une main habile. On ignore pourquoi le travail est resté aussi lacunaire. À vous de reprendre le flambeau si vous le souhaitez et de révéler les couleurs éclatantes des espèces représentées. Choisissez vos illustrations préférées dans Gallica et laissez-vous porter par votre inspiration ! Pour obtenir des images de qualité, utilisez les astuces des Gallicanautes pour télécharger les images de Gallica en HD.
Pour aller plus loin
Retrouvez les cahiers proposés lors des précédentes éditions de #ColorOurCollections, sur le thème de la faune et de la flore, du Petit Poucet voyageant dans le corps humain et de Drôles de docteurs et patients.
Pour découvrir d’autres splendides ouvrages de sciences illustrés en couleurs, explorez méthodiquement ou selon votre libre fantaisie notre sélection La nature en images ou notre bibliographie L’homme à nu.
Le parcours Origines de l’imprimerie retrace la naissance de l’imprimerie à caractères mobiles et vous présente les techniques d’illustration du livre imprimé.
Livret de coloriages téléchargeable ici.
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