La galère : de Lépante à Molière
Un des plus grands combats de galères a eu lieu voici quatre siècles et demi à Lépante. Revenons sur cet ancien mode de navigation qui se maintint jusqu'au 18ème siècle.
La bataille de Lépante
Le 7 septembre 1571, la flotte coalisée de la Sainte Ligue aligne plus de 200 galères face aux 250 galères ottomanes à l’entrée du golfe de Patras. Cet épisode prend place dans la guerre de Chypre qui a vu les Ottomans s’emparer de cette île vénitienne. Plusieurs puissances européennes décident alors de joindre leurs forces pour stopper l’expansion ottomane : Venise, Gênes, l’Espagne, les Hospitaliers, le pape… Le terrain d’affrontement se situe en mer Ionienne où Venise possède une série de places.
Gustave Doré, [Bataille de Lépante], 1877
Les deux flottes s’alignent sur toute la largeur du golfe de Patras. Les galères ottomanes sont plus nombreuses, mais la flotte de la Ligue possède six galéasses, grosses galères marchandes transformées par ajout d’une forte artillerie. De plus, on compte 500 arquebusiers par galéasse, 250 à 300 par galère capitane, et 100 par galère simple, ce qui donne à la Ligue une puissance de feu supérieure à celle des Ottomans qui sont vaincus. Ces derniers perdent les trois quarts de leurs galères, coulées ou capturées. La bataille ne renverse pas le cours de la guerre puisque, l’année suivante, les Ottomans ont reconstitué leur flotte, et Venise doit reconnaître la perte de Chypre en 1573. La victoire de la Ligue connaît néanmoins un grand retentissement, largement célébré dans les arts et la littérature.
Les galères antiques
La bataille de Lépante ne constitue qu’un des nombreux combats de galères qui ponctuent l’Histoire depuis l’Antiquité. Plusieurs puissances maritimes possèdent une flotte importante : les cités phéniciennes, Athènes, Carthage, Rome… Athènes bat la flotte perse à Salamine en -480 en la piégeant dans le détroit de Salamine. Cela lui permet de créer la ligue de Délos et de dominer la mer Egée grâce à ses trières, galères à trois rangs de citoyens rameurs.
A Carthage, le port militaire est installé sur une île ronde où les galères sont tirées de l’eau pour la nuit et remisées dans des loges concentriques. Grecs, Phéniciens et Carthaginois maîtrisent les manœuvres navales permises par les galères. En effet, ces bateaux peuvent tourner sur place ou avancer en marche arrière en inversant le sens de manœuvre d’un des deux bords ou des deux bords à la fois. Les Romains, moins manœuvriers, équipent leurs galères d’un corbeau, passerelle équipée d’un grappin pour transformer le combat naval en combat d’infanterie. Ils décorent la tribune des Rostres sur le forum romain avec des éperons pris à l’ennemi. En -31, Octave vainc Antoine et Cléopâtre à Actium, à l’entrée du golfe ambracique, non loin de Lépante. De lourdes galères armées de catapultes s’y affrontent ; Octave, vainqueur, peut ensuite établir le principat.
Georges Dascher, Bataille d'Actium (2 septembre 31 avant J.-C.), ca. 1890
Venise et les galères
La cité au milieu des lagunes bâtit sa puissance sur sa flotte et sur une série de possessions en Adriatique puis en Méditerranée orientale. Ce lien avec la mer est célébré chaque année le jour de l’Ascension. Pour symboliser les noces de Venise avec la mer, le doge lance un anneau d’or dans la mer à partir du Bucentaure, grande galère d’apparat. Dans l’ouest de la ville se situe l’arsenal, ensemble de bâtiments comprenant plusieurs darses, ateliers et entrepôts. Il constitue la plus grosse entreprise de son temps, stockant des galères en pièces détachées et pouvant en assembler une en une seule journée.
Piano dell’arsenal di Venezia, 1824
L’Etat vénitien loue ses galères aux armateurs pour desservir des lignes régulières vers Trébizonde, Bruges… Les trajets se font en convois de trois à dix galères. Cela assure la sécurité des liaisons maritimes, donnant à Venise un avantage commercial considérable. Les Vénitiens mettent également au point la galère bâtarde qui devient, au 14ème siècle, galère marchande pour les marchandises de luxe. Le petit peuple de Venise fournit les galères en rameurs et en combattants jusqu’au milieu du 16ème siècle, puis il faut recourir aux forçats er recruter arbalétriers puis arquebusiers. Les galères sont équipées de canons en proue. Un an avant Lépante, l’arsenal de Venise abrite une centaine de coques de galères, lancées en six à sept semaines : dans l’enceinte de l’arsenal, elles passent dans les différents ateliers successifs, comme sur une chaîne de montage.
La France et les galères
Les rois de France se constituent une flotte de galères dès le Moyen Âge. Est ainsi créé le Clos des Galées à Rouen, dès la fin du 13e siècle. Installé dans le quartier de Richebourg, sur la rive gauche de la Seine, il comprend une trentaine de halles, chacune abritant une galée. Le roi peut aussi acheter ou louer des galères à l’étranger. Sous Charles VII, Jacques Cœur envoie des galées armées pour le commerce avec le Levant. Quelques décennies plus tard, le rattachement de la Provence au royaume donne au roi le port de Marseille. Louis XIV en fait, à la fin du 17ème siècle, le port de rattachement de la plus forte flotte de galères de Méditerranée : 40 galères, 12000 rameurs, 3000 marins, 4000 soldats. La chiourme – terme désignant l’ensemble des rameurs d’une galère – comprend des esclaves, des volontaires et forçats. Ces derniers sont fournis par les tribunaux qui condamnent protestants, faux-sauniers, déserteurs… à la peine des galères.
Auguste Laforêt, Étude sur la marine des Galères, 1861
Un arsenal est constitué dans l’angle sud-est du Vieux Port. En 1679, pour la visite de Seignelay, secrétaire d’Etat à la Marine, l’arsenal de Marseille monte une galère en 24 heures. Mais cette flotte de galères, constituée pour le prestige, coûte cher et décline rapidement dans la première moitié du 18e siècle. Les galériens sont utilisés pour ramasser les cadavres dans les rues lors de la peste de 1720. Le corps des galères est supprimé en 1748, Toulon héritant de la moitié des chiourmes marseillaises, employées sur les chantiers navals. Le bagne survit à la suppression des galères.
Henri Sbonski de Passebon, Plan de plusieurs bâtimens de mer avec leurs proportions, 1690
Fin et postérité
Craignant les tempêtes, la galère était plus fréquente en Méditerranée, mais son prestige explique qu’Henri VIII d’Angleterre ait possédé des galères. Vers 1750, le Suédois Frédéric Henri Chapman conçoit des modèles de galères adaptées à la mer Baltique, bientôt imité par les Russes. Plusieurs combats opposent galères russes et suédoises à la fin du 18ème siècle.
L’emploi de forçats et de prisonniers de guerre dans la chiourme a marqué les mentalités comme l’illustre l’épisode où Don Quichotte rencontre des galériens enchaînés. Cervantes lui-même fut blessé à Lépante, puis capturé en Méditerranée et emprisonné à Alger. Mais la réplique la plus célèbre reste celle des Fourberies de Scapin, quand Scapin, pour extorquer de l'argent à Géronte, révèle que Léandre est enfermé dans une galère turque :
Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?
Commentaires
Les galères
Merci pour cet article passionnant et tellement riche en informations
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