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Vous avez dit : bibliothécaire ?

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7 mai 2020

Au cœur de leur confinement, des bibliothécaires ont déniché de petites pépites sur l’image que véhiculaient jadis les descriptions ou les évocations de leur métier. Un petit tour dans Gallica nous permet d’apprécier la saveur de ces anciennes mentions pittoresques du métier, que ce soit dans des textes officiels, satiriques ou plus techniques.

 

Dans ses Notices historiques sur les bibliothèques anciennes et modernes, Jean-Louis Bailly donne en 1828 sa vision du métier, où le bibliothécaire s’apparente à une sorte de dieu moderne du savoir, guidant les ignorants dans l’obscurité du monde livresque :
 

 
Ces lignes pourtant élogieuses font aujourd’hui sourire, du fait de leur ton à la fois direct et paternaliste, mais elles ont le mérite d’établir les principales fonctions du bibliothécaire, toujours d’actualité.
 
En 1857, Prosper Mérimée est nommé président d’une commission « chargée d’examiner les modifications à introduire dans l’organisation de la Bibliothèque impériale ». Un an plus tard il en remet le rapport au ministre de l’instruction publique et des cultes.
 

Le rapport aborde la question de l’organisation de la bibliothèque, tant du point de vue des salles et des collections, que du traitement des catalogues. Une partie est consacrée à l’administration, pour laquelle la commission recommande de nommer un « chef unique », qui détiendrait un réel pouvoir décisionnaire, à la différence de l’administrateur actuel, afin, selon elle, de lever les blocages qui empêchent depuis des années la bibliothèque de se rénover. C’est l’occasion d’évoquer le mode de fonctionnement des conservateurs : le rapport déplore que « toutes les mesures importantes [soient] prises par les conservateurs :
 

 
Malgré l’habile diplomatie de Mérimée qui souligne, au détour de phrases, le « zèle » et « l’expérience » de ces fonctionnaires, ces lignes sont peu élogieuses pour les bibliothécaires de l’époque, peu enclins au changement et enfermés dans leur pré carré. On ne peut s’empêcher de penser que l’auteur pointe avec malice l’acception négative du mot « conservateur » en signalant qu’ « il a ses habitudes et plus elles sont anciennes, plus il les trouve respectables ».
 
À son tour, le chroniqueur Charles Monselet met toute sa verve d’auteur dramatique et de journaliste dans un texte satirique sur la « Bibliothèque de la rue de Richelieu », intitulé « La bibliothèque en fonction ».
 

M. Desboutin, Charles Monselet, écrivain, estampe, 1879

 
 
Le recueil Les tréteaux, d’où est extrait le texte, date de 1859, mais celui-ci est paru dans la presse avant le rapport Mérimée. L’auteur reconnaît donc :
 

 
Il s’attarde d’abord sur le Règlement de l’établissement :
 

 
Et de conclure malicieusement : « Voilà bien des choses destinées à n’être point communiquées! » sous-entendant que le Règlement a été élaboré par le personnel pour lui donner le moins de travail possible.
S’ensuit une série d’impertinents portraits des bibliothécaires chargés du renseignement au public, et comparés à des phares disposés dans la salle de lecture, censés guider le lecteur dans cette mer de documents, mais également, inamovibles et inaccessibles :
 

 
Monselet poursuit par une série de saynètes qui sont autant de situations quotidiennes entre lecteurs et bibliothécaires, et illustrent cet axiome de son cru :

 
 Tout bibliothécaire est ennemi du lecteur » (p. 52)

 
Notons qu’au fil de ces caricatures, les lecteurs ne sont pas épargnés… Entre autre :
- La complexité des demandes de documents pour les nouveaux lecteurs :

 

 

- la réaction du professionnel à des questions parfois inattendues du lecteur habitué :
 

 
- la tentative d’accès à la Réserve. Après s’être heurté à gauche et à droite à des portes barricadées, le lecteur y est enfin introduit :

 

 
Si le trait est forcé dans ces pages, il est inspiré sans doute de situations réelles.
 
Les bibliothécaires de bibliothèques privées ne sont pas oubliés. Dans La révolte des anges (1914), Anatole France consacre le chapitre 2 à la description de la bibliothèque fondée par Alexandre d’Esparvieu, et au portrait de son bibliothécaire, Monsieur Sariette. Seul maître à bord, il a inventé un système de classement si complexe que lui seul peut s’y retrouver :
 

 

 
 
Anatole France, dans la critique sociale que constitue le texte complet, se plaît ici à se moquer de cet « amoureux jaloux » de sa bibliothèque qui supporte difficilement qu’on vienne lui emprunter un volume, même de la part des héritiers Esparvieu :

 
 

 
M. Sariette est d’autant plus désemparé que son système de classement fait pour n’y rien retrouver sans son aide vole en éclat quand un ange révolté vient toutes les nuits dévorer des livres entiers traitant des religions, qu’il a parfaitement su choisir et que le bibliothécaire retrouve en piteux état au matin sur les tables de lecture.
En donnant l’exemple d’une des cotes inventées par Sariette :
 

 
Anatole France met brutalement le personnage face à sa fatuité et dénonce l’hermétisme du système dans lequel il se complaît, aux dépends d’un certain bon sens trop oublié :
 

 
On voit ainsi que le bibliothécaire n’a pas toujours eu une bonne image. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que son métier n’était pas toujours bien identifié. Le cumul d’emplois était fréquent car les revenus n’étaient pas élevés, ce qui contribuait à brouiller les contours des fonctions. Mérimée déplore déjà que « les fonctions de conservateurs [soient] dévolues à des hommes qui se sont fait un nom par leurs travaux littéraires » :
 

 
Le Rapport Mérimée, d’ailleurs, préconise de mieux rémunérer les bibliothécaires afin d’éviter ce cumul d’emplois et, partant, de les impliquer davantage dans leurs fonctions.
 
En 1841, l’encyclopédie Roret Bibliothéconomie ou Nouveau manuel complet pour l'arrangement, la conservation et l'administration des bibliothèques insiste également sur ce fait, lié aux appointements trop faibles :
 

 

 
 
Cette situation est si courante qu’elle s’introduit dans les œuvres de fictions et participe du caractère d’un personnage : c’est une place peu rémunérée mais obtenue souvent par protection. Anatole France, dans La Révolte des anges, précise que M. Sariette « devint en 1895 […] précepteur du jeune Maurice et presque en même temps conservateur de l’Esparvienne » (p. 15)
 
Dans son étude de l’image du bibliothécaire dans la fiction, Marianne Pernoo pointe cette figure de bibliothécaire-répétiteur dans Louis Lambert, de Balzac :

 

 
La visée humoristique et caricaturale, ainsi que les problèmes de définitions du métier, ne doivent pas faire oublier cependant la grande majorité des professionnels qui ont exercé leurs fonctions avec conscience, comme le rappelle l’encyclopédie Roret de Bibliothéconomie.
 

 
L’image du bibliothécaire tient à ce que :
 

 
Pour aller plus loin

Merci à : Isabelle Antonutti, Christine Bénévent, Bernard Brelle, Christine Huvé, Juliette Jestaz, Cécile Martini, Paul Paumier, Jean Stouff, Agnès Vatican et tous les collègues qui ont participé à la discussion sur la liste Bibliopat : « Description du parfait bibliothécaire - Figures de bibliothécaires » !
 

 
 

Commentaires

Soumis par Aline Annabi le 14/12/2020

Vraiment savoureux, ces portraits ! Bravo Claire pour ce panorama de la profession .... à l'ancienne ! Car, bien sûr les bibliothécaires du 21e siècle, et les lecteurs, ne sont plus du tout comme ça !!

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