Dans le cadre du colloque « Droit(s) et jardin », tournons-nous vers Louis XIV qui a marqué non seulement les arts et la guerre, mais aussi l’horticulture. Friand de fruits et de légumes frais, il lui fallait un jardin à sa mesure – le Potager du roi – et un praticien du même ordre : Jean de La Quintinie. Ce juriste de formation réussit le tour de force de fournir la table royale en toutes saisons.
Une formation de juriste et une passion pour l'horticulture
Jean (ou Jean-Baptiste) de La Quintinie naît en 1626 à
Chabanais en Charente. Il fait ses études au collège des Jésuites de Poitiers puis à la faculté de droit de la même ville. Il part ensuite à la capitale où il est reçu avocat au Parlement de Paris. Ses talents littéraires le font remarquer par Jean Tambonneau, président de la
Chambre des Comptes, qui lui confie l’éducation de son fils unique
Michel-Antoine. Lors d’un voyage en Italie avec son
pupille, il découvre les jardins romains. Lecteur des auteurs antiques (
Varron,
Columelle), il se prend de passion pour l’horticulture.
Il peut s’exercer dans les jardins de l’Hôtel Tambonneau qui sont mis à sa disposition pour des expériences horticoles. Les connaissances ainsi acquises lui permettent de travailler pour de grands personnages : pour Condé à Chantilly, pour Colbert à Sceaux, pour mademoiselle de Montpensier à Choisy, et surtout pour Fouquet à Vaux-le-Vicomte. Il passe ensuite au service du roi après la disgrâce du surintendant, comme Le Nôtre, Le Vau et Le Brun. En 1670, il reçoit le titre de directeur des jardins fruitiers et potagers de toutes les demeures royales.
Plan du potager de Versailles, 1678
Création du potager du roi
Versailles est alors un vaste chantier. Il faut bâtir le château, le
parc, la ville, mais aussi des installations pour l’
approvisionnement en eau, en produits frais… Louis XIV est
avide de petits pois, mais aussi d’
asperges, de
figues, de
poires ou de
fraises. Il s’en fait envoyer par paniers quand il est en campagne. La Quintinie se voit ainsi confier le potager de Louis XIII, près du château, vite insuffisant. La Quintinie souhaite installer un nouveau potager sur les bonnes terres de
Clagny, mais le roi le veut proche du château pour pouvoir le visiter facilement. On choisit le site de l’étang puant, qu’il faut drainer.
La création de l’actuel Potager du roi nécessite un million de livres, cinq ans (de 1678 à 1683) et des milliers d’hommes. Le terrain est comblé avec les terres retirées pour creuser la pièce d’eau des Suisses. Il est divisé en plusieurs sections : le Grand Carré au milieu (un bassin central et seize carrés de légumes) ; vingt-neuf jardins clos : les Onze (des vergers), la figuerie, la melonnière, la prunelaie…
Jean de La Quintinie, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, tome II, Paris, Barbin, 1697
Des fruits et légumes en toutes saisons
La Quintinie utilise des techniques culturales pour produire hors saison : des fraises fin mars, des pois en avril, des figues en juin, des asperges et des laitues pommées en décembre…. Pour cela, il rassemble des dizaines de variétés différentes, non pour les collectionner, mais pour disposer des meilleures possibles. Il prise particulièrement la Bon Chrétien d’hiver, une poire qui est envoyée comme cadeau aux amis du roi. Il apprécie les poires bien plus que les pommes. Pour les figues, il construit une figuerie sur le modèle de l’
Orangerie voisine : les arbres en caisse sont rentrés dans une serre pour la mauvaise saison.
Les arbres fruitiers sont conduits en
espaliers en forme d’éventail le long des murs, pour profiter d’une bonne exposition au soleil. La Quintinie invente même des modèles de
serpette et de
scie à main pour tailler les arbres et
greffer. Quant aux légumes, ils sont conduits sous cloche ou sous abri de verre pour capter la lumière solaire. Les plantations bénéficient d’engrais frais venu des écuries royales. Le terrain a été drainé et est alimenté en eau par pompage depuis la plaine de Satory.
Une réussite exemplaire
Le Potager du roi fournit chaque année plusieurs tonnes de fruits et légumes pour le service de la Bouche (la table du roi). Les contemporains comme
Charles Perrault ou
Jean-Baptiste Santeul ne tarissent pas d’éloges. La Quintinie est anobli en 1687 : les
armes de sa famille sont «
d’argent à un chevron d’azur, accompagné en chef de deux étoiles de même et en pointe d’un arbre de sinople ». Le roi lui-même visite régulièrement le Potager et y apprend à tailler les arbres fruitiers. Il ne dédaigne pas de le faire visiter à ses hôtes comme le doge ou l’
ambassadeur du Siam. Le Potager est en effet un lieu d’expérimentation horticole dans le domaine des primeurs et de la taille des arbres.
La mort de La Quintinie affecte le souverain qui déclare à sa veuve :
Madame, nous avons fait une grande perte que nous ne pourrons jamais réparer.
Toute sa vie, La Quintinie tient un carnet de ses observations journalières qu’il compte faire publier. La mort l’en empêche mais son fils Michel édite les papiers de son père en 1690 sous le titre d’
Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, dédié au roi.
Repas donné par le roi... pour l’heureux mariage de Monseigneur le duc de Berry, Almanach de 1711
Evolution des goûts et des moeurs
Le créateur et le commanditaire du Potager du roi sont en effet indissociables. Leur influence est majeure dans les domaines de l’horticulture et de la gastronomie. En effet, jusque-là, les légumes étaient considérés comme des aliments pour le peuple, poussant au niveau de la terre ou, pire, dans la terre, contrairement aux fruits croissant en hauteur, plus proches de Dieu. Cette pensée encore médiévale va être balayée par le goût d’un souverain. Il devient de bon ton de consommer fruits et légumes, de les faire pousser et de les
collectionner, tant en France qu’en Europe. Songeons-y la prochaine fois que nous mangerons des
petits pois, si appréciés de Louis XIV, et à ce que nous lui devons, à lui ainsi qu’à quelques hectares de terre versaillaise et à son jardinier si doué.
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